Chœur Vivace, direction Johanna Hernandez
Cantate BWV 191 « Gloria in excelsis Deo»
Accueil
Les lumières de Noël ont envahi nos rues. Rien qu’à venir jusqu’ici, on
est comme illuminé.
Et puis il y a le noir. Le noir de la nuit tombée, mais aussi le noir
d’une actualité mondiale qui plombe les nouvelles et le téléjournal. Et on ne
sait plus très bien ce qu’il faut regarder : la nuit, les lumières ?
Ce soir, nous nous installons dans un îlot de lumière et de chaleur.
Avec un orgue, un orchestre, des solistes et un choeur pour faire vibrer
l’instant. Un instant d’avant Noël pour penser à la lumière et au noir.
Bienvenue à vous pour ce moment de musique, de parole et de lumière.
Texte méditatif
C’était il y a longtemps, très longtemps.
L’homme était vieux, très vieux. Mais il n’était pas triste d’être vieux, parce qu’il ne s’ennuyait pas dans la vie. Son intérêt, son plaisir, sa passion, c’était de regarder les visages des gens. Chaque matin il sortait de chez lui. Il trouvait les visages passionnants : les minces, les joufflus, les longs, les ronds, les plaisants, les tristes… tous les visages, il les trouvait beaux. Tellement beaux qu’il les peignait.
Quand il rentrait chez lui, il prenait ses pinceaux, ses couleurs, et il peignait. Chaque jour un portrait. Et à la fin de la semaine, le dimanche, il regardait les sept portraits qu’il avait peints. Ils étaient beaux, mais tellement beaux !
Mais voilà que la mort avait décidé, justement ce jour-là, de venir l’emporter avec elle. Elle entre dans l’atelier du peintre, lui met la main sur l’épaule et lui dit : « C’est l’heure, suis-moi ». « Ah non, dit l’homme, pas maintenant, pas aujourd’hui. Je n’ai pas terminé ma collection de visages. Donne-moi encore du temps. »
La grande faucheuse a regardé les portraits. Elle les a trouvés tellement beaux que, contrairement à son habitude, elle n’a pas insisté. Elle s’est retirée silencieusement pour remonter au ciel. Dieu le père la voit revenir bredouille et l’apostrophe : « Alors, tu rentres les mains vides aujourd’hui ? » La mort lui raconte sa visite chez le peintre aux mille couleurs et lui dit son admiration pour les visages qu’il a peints. Dieu est impressionné. Et il dit à la mort : « Tu iras le chercher plus tard. Mais tu lui demanderas de venir avec ses pinceaux. »
Ce qui fut fait. Et depuis, Dieu demande à l’homme de peindre chaque jour les visages des enfants à naître. Regardez autour de vous, vous les reconnaîtrez sûrement. Ils sont tellement beaux, tellement beaux…
Lecture biblique : Luc 2,6-20
Méditation
On a l’air de quoi ? Non mais, s’il vous plaît, on a l’air de quoi ?
Entendre les anges chanter : « Gloire à Dieu dans les cieux très hauts et paix sur la terre pour ceux qu’il aime » sur cette terre de Judée, cette terre de Palestine, qui aujourd’hui résonne d’autres bruits, le bruit des larmes, le bruit des bombes, le bruit des armes… On aura l’air de quoi, à Noël, à chanter « paix sur la terre » alors que la terre, cette terre-là justement, croule sous la douleur que s’infligent mutuellement deux peuples ?
Le petit carrousel de Noël tourne bien par beau temps, mais par mauvais temps… faudra-t-il chanter nos cantiques la gorge serrée ? ou alors oublier les nouvelles qui nous assaillent pour fêter Noël comme d’habitude avec le choeur des anges, sans oublier les pitreries du Père Noël ?
Quand j’ai découvert ce que nous entendrions ce soir, je me suis dit que la seule solution était de se taire. Ne rien ajouter. Que seul le silence pouvait convenir au sentiment d’horreur que distillent, jour après jour, heure après heure, les nouvelles des media. Le champ des bergers aujourd’hui est ensanglanté. Se taire, quand on est accablé de tristesse et d’impuissance, est parfois la seule attitude respectueuse que l’on puisse avoir.
Cela me fait penser à Elie Wiesel. Dans son livre La nuit, il raconte sa vie de juif déporté enfant, avec sa famille, au camp de Buchenwald. Il raconte ce moment terrible où il a assisté à la pendaison d’un autre enfant qui, dit-il, avait le visage d’un ange triste. Un silence épais régnait parmi les prisonniers qui avaient été convoqués au spectacle. Et dans ce silence, Elie Wiesel a entendu quelqu’un derrière lui gémir : « Mais, pour l’amour de Dieu, où est Dieu ? » Et de l’intérieur de moi, dit-il, j’ai entendu une voix répondre : « Où est-il ? Mais il est là, pendu à cette potence. »
François Mauriac, qui commente cette parole, poursuit : « Et moi, moi qui crois que Dieu est amour, quelle réponse fallait-il donner à mon jeune interlocuteur ? Que lui ai-je dit ? Est-ce que je lui ai parlé de cet autre juif, Jésus, ce frère crucifié qui lui ressemblait peut-être, et dont la croix a conquis le monde ? » A Noël, c’est Vendredi-saint qui se prépare.
Et donc, je me suis dit d’abord, le silence.
Après, j’ai repensé à l’histoire de Noël. Mais à toute l’histoire de Noël, la version intégrale. Parce qu’elle comporte aussi une face ténébreuse, une face violente. Les mages sont venus, on connaît le récit, mais alors que le roi Hérode leur avait ordonné de revenir lui dire où était né ce roi des juifs, ils ont désobéi et sont retournés chez eux par un autre chemin. Hérode voulait se débarrasser de ce futur roi des juifs, qu’il prenait pour un concurrent. Et de rage, il a fait tuer tous les bébés de Bethléem. C’est le massacre des saints innocents. Le premier Noël a eu aussi son bain de sang. Il ne figure pas dans nos crèches, qui préfèrent la quiétude de l’âne et du bœuf à la violence délirante du roi Hérode. Mais non, Jésus est né dans un monde où la terreur frappait déjà.
En fait, dans l’histoire de la Nativité, deux hommes font l’actualité : Auguste l’empereur, qui ordonne le recensement des habitants de Judée, et Hérode le roi. Noël, il faut aller le chercher dans le détail. Les évangélistes sont ces hommes qui cherchent l’empreinte de Dieu, même dans une histoire tragique, et qui la trouvent ; ils la trouvent dans une série de petits faits que l’on déclare obscurs, faute de les avoir regardés.
N’allez pas croire à l’exception. De tout temps, le détail est le lieu privilégié de Dieu. L’exode des nomades hébreux, entraînés par Moïse hors d’Egypte, fut un épisode insignifiant dans l’histoire des pharaons. Aujourd’hui, des historiens et des archéologues s’ingénient à nous montrer que la traversée de la Mer Rouge ne s’est pas passée comme on nous le fait voir au cinéma, et que l’entrée en Canaan n’a rien eu d’une invasion militaire triomphale. Mais oui, ils ont raison, mais oui ! Sauf que la Bible n’est pas un livre à la gloire des armées ! La Bible enjolive, on est d’accord, mais ce qu’elle raconte reste un détail, un détail qu’aucun historien de l’époque n’a jugé digne de mentionner. Et dans ce détail, qui est la sauvegarde d’une poignée de nomades affamés et sans terre, Dieu a fait de grandes choses. Il a protégé son peuple pour qu’il survive.
La vie et l’exécution de Jésus de Nazareth sur une croix n’ont été qu’une paille dans la lutte du pouvoir romain contre la révolte du peuple juif. Aucun document officiel ne le signale à l’époque. La Bible est l’écrin de ces tout petits faits auxquels la foi donne du sens, et qu’elle sauve de l’anecdote.
A regarder la vie du monde, je crois que Dieu n’a pas changé d’avis. Nos Avents se déroulent comme l’histoire de la Nativité. Des hommes, des événements, des armes y font du bruit. Le carrousel tourne… et comme l’hôtelier de Bethléem, nous ne savons plus où donner de la tête.
Qu’importe. Noël se logera dans le détail : des instants retrouvés en famille, une bouffée de fraternité qui nous pousse vers quelqu’un, un regard sur la lumière fragile d’une bougie, du pain et du vin sur la table de la cène. Un mot échangé, un cadeau inattendu, une prière entendue quelque part.
Cette année encore, cette année surtout, il faudra nous ancrer dans la conviction que le fracas des armes est une bataille perdue. L’avenir est fait de paix et de réconciliation. Une fois la rage passée, une fois les armes épuisées et la résistance à bout, il faudra bien que la tolérance prenne le pas sur la haine.
Noël, c’est le moment de se rappeler qu’il suffit d’une bougie pour embraser la nuit.
Texte méditatif
Rabbi Zoma disait : « Qui est sage ? Celui qui trouve quelque chose à apprendre de chaque homme ».