Texte méditatif I
Avec ces guerres qui mêlent le pétrole et le sang
Avec ces attentats qui mêlent le sang et la poudre
deux adolescents palestiniens tués hier, une soldate israélienne tuée aujourd’hui, 17 Ukrainiens tués dans un dommage colatéral
Avec ces ouragans qui ont perdu la tête
Avec ces crues qui ont perdu le sens de la mesure
Avec ces menaces de famine
Ces menaces de bombe nucléaire
Notre monde semble avoir dépassé les limites de l’horreur.
Hier, j’ai vu, devant un garage, une voiture ramenée d’un accident.
Elle aussi mélangeait tout.
Des pièces, pêle-mêle
Du droit, du tordu, du reconnaissable
et du non reconnaissable.
Il y avait deux mondes superposés, imbriqués, emmêlés
La construction et la destruction.
La construction apparaissait encore,
Qui avait conçu et réalisé un véhicule et non un tas de ferraille.
Mais par là-dessus, la destruction avait fait son œuvre
Qui avait rendu l’ensemble totalement inutile.
Qui avait défait les calculs,
Ruiné l’harmonie,
Transformé en carcasse stupide
Une machine intelligente.
Notre monde ressemble à cette voiture.
C’est à la fois une ruine et un chef-d’œuvre.
On y reconnaît la main de Dieu
Et en même temps,
On est partout devant des choses tordues
Qui ne marchent plus
Qu’on ne comprend même pas.
Alors on fait quoi ?
On fait comme souvent quand on se lamente !
On dit « Mais qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? »
Mais est-ce que c’est vraiment la bonne question … ?
TEXTE BIBLIQUE : Epitre aux Philippiens 2, 1-11
Je traduits en français courant. Parce que « Epitre aux Philippiens » ça fait un peu formule chimique pour initiés.
Philippe, à l’époque de l’Apôtre Paul, c’est une Colonnie romaine, tout au nord est de la Grèce.
Paul est au début de son 2e voyage missionnaire, il vient de faire 600 km à pieds pour aller du centre de la Turquie jusqu’à Troas.
A Troas, il fait un rêve et dès le lendemain, il part pour Philippes.
La lettre aux chrétiens de Philippes, il l’écrit probablement à Rome, quand il y a est prisonnier, à la fin de sa vie, en 61.
S’il y a quelque consolation en Christ,
s’il y a quelque encouragement dans l’amour,
s’il y a quelque communion de l’Esprit,
s’il y a quelque compassion et quelque miséricorde,
mettez le comble à ma joie afin d’avoir une même pensée ;
ayez un même amour,
une même âme,
une seule pensée ;
ne faites rien par rivalité ou par vaine gloire,
mais dans l’humilité,
estimez les autres supérieurs à vous-mêmes.
Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres.
Ayez en vous la pensée qui était en Christ-Jésus, lui dont la condition était celle de Dieu,
il n’a pas estimé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu,
mais il s’est dépouillé lui-même,
en prenant la condition d’esclave,
en devenant semblable aux hommes ;
Après s’être trouvé dans la situation d’un homme, il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort,
la mort sur la croix.
C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux,
sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père
Méditation
« Der Mensch ist Kog, Staub, Asch und Erde » vient de chanter la Basse. Je le dis en allemand parce que c’est en allemand que la cantate a été créée !
Mais en français, c’est pas bien plus léger : « L’homme est fange, pestilence, poussière et glèbe ».
Dans ces cas-là, on se dit: heureusement que c’est en allemand et qu’il y a la musique.
Le choc est moins violent.
Et on se dit que ça va s’arranger dans la suite. Mais pas du tout.
Ce n’est pas seulement une phrase perdue dans le récitatif.
Ça continue sur le même ton :
« Et toi, misérable ver que tu es … va ! Que la honte t’oppresse, créature orgueilleuse ! »
Il est vrai qu’au début de la cantate, le texte du chœur d’ouverture, est moins violent. « Quiconque s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé ».
Ça nous rappelle un peu « les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers ». Il y a un peu de justice là-dedans : ça nous convient.
Mais revenons au récitatif de Basse.
Si le texte est si dur à l’endroit de l’être humain
C’est évidemment dans un but pédagogique, c’est pour l’inviter, l’inciter – peut-être le contraindre – à l’humilité.
Voilà. Le mot est lâché.
Ce mot qu’on retrouve dans la lettre au chrétiens de Philippes. « Ne faites rien par rivalité ou par vaine gloire, mais dans l’humilité ».
Mot terrible, l’humilité.
Mot qui a mauvaise presse !
Mot avec lequel les intellectuels de tout poil ont caricaturé le protestantisme en nous rappelant d’innombrables sermons nuséabonds qui visaient à humilier l’être humain, et à le traîner dans le moins que rien.
Alors on se dit :
- Est-ce qu’on ne devrait pas tourner la page de l’humiliation ?
- Est-ce que la publicité de L’Oréal « Parce que je le vaux bien » n’est finalement pas plus proche de l’Evangile, d’une théologie de la grâce, que ces rappels perpétuels que nous ne sommes que « fange et pestillence » ?
Il est temps de tourner la page de l’humiliation. Certainement.
Mais peut-être pas celle de l’humilité. Parce que qu’est-ce que c’est que l’humilité ?
Beaucoup de paroles de Jésus expriment l’humilité sans la nommer directement. Comme dans les Béatitudes, par exemple, où les « pauvres en esprit, ceux qui pleurent et les doux » pourraient se résumer en un seul mot : les humbles.
Beaucoup de gestes de Jésus illustrent clairement l’humilité, sans la nommer non plus. Par exemple, quand Jésus lave les pieds de ses disciples, quand il se laisse arrêter sans se défendre, quand il meurt, finalement, sur la croix sans se sauver lui-même.
Jésus incarne l’humilité … mais il utilise ce mot extrêmement rarement. En fait, il ne l’utilise qu’une fois, dans l’Evangile de Matthieu. Et c’est pourtant une valeur essentielle qu’il veut nous transmettre.
C’est que Jésus propose bien davantage un apprentissage pratique que de belles théories.
- On ne peut pas faire de grands discours sur l’humilité, on ne peut que la vivre.
- On ne peut pas l’enseigner avec des mots et une méthode, On ne peut qu’être un exemple.
L’humilité bien comprise c’est une attitude fondamentale de la vie chrétienne et plus généralement, de l’homme qui veut rester « humain » et vivre sur cette planète en permettant à d’autres humains d’y vivre, eux aussi.
Petite parenthèse : que dit le dictionnaire à propos de l’humilité ?
« L’humilité c’est la reconnaissance de ses limites en faisant preuve de modestie. On la considère comme une qualité en opposition à l’orgueil ».
Donc si on ne sait pas toujours ce qu’est l’humilité, on peut en revanche dire ce qu’elle n’est pas. L’humilité, c’est tout le contraire de l’orgueil. Donc plutôt que de rechercher ce qu’est une attitude humble, et de faire beaucoup d’efforts pour y parvenir, peut-être faudrait-il permettre aux autres … et parmi ces autres, il peut évidemment y avoir le Christ des Evangiles – nous ouvrir les yeux sur nos attitudes orgueilleuses.
- notre tendance à vouloir tout dominer,
- tout maîtriser, tout savoir,
- À avoir toujours raison
- A défendre nos droits …
Dans les sermons classiques de l’Eglise dont je parlais tout à l’heure, la contemplation du Christ souffrant donnait au chrétien l’exemple parfait de l’humilité et l’exhortait à s’humilier.
Il me semble qu’aujourd’hui, nous pourrions aussi penser l’humilité de manière beaucoup plus collective que personnelle.
En un siècle,
- nous avons passé de l’agriculteur qui fauchait son blé à la faux à la moissonneuse batteuse dont le peigne fait six mètres de large,
- Nous avons passé de la calèche au TGV, à l’airbus, voire au Concorde (qui permettait de relier Paris –New-York en moins de trois heures !)
- Nous avons passé des premiers avions rudimentaires aux vols sur la lune
- Nous avons inventé les voitures, les ordinateurs, les scanners, les bombes atomiques, les téléphones mobiles, les opérations chirurgicales avec un laser, bref, rien ne semblait nous résister.
Et comme dans le même temps, nous avons gagné de plus en plus d’argent, nous avons considéré que tout cela s’appelait LE PROGRES.
Et nous étions fiers.
ET peut-être un brin orgueilleux.
Et voilà que tout à coup nous mesurons les dégâts effroyables que ce « progrès » a engendrés.
Alors, bien sûr, on tombe de haut.
On voit encore un peu ce qu’était le chef-d’œuvre de notre monde avant …
Mais on voit de plus en plus ce qui est tordu, défiguré, et même parfois, ce qui est définitivement mort. Perdu.
Alors on se dit que si nous avions eu un brin d’humilité… nous n’en serions peut-être pas là.
Alors que faire maintenant ?
- Battre sa coulpe ?
- Se traiter de moins que rien ?
- S’accuser de tous les maux ?
- Se dire, finalement en accord avec le librettiste de Bach, que nous sommes effectivement « fange, glèbe et pestillence » ?
- Ou alors changer de regard ?
- Ne plus regarder la terre uniquement comme une source de méga-profit
- Ne plus regarder les pays du sud comme la poubelle des pays du nord
- Ne plus considérer seulement les bénéfices à court terme, parce qu’on ne vit qu’une fois, mais les conséquences à moyen terme de chacun de nos comportements
- Bref, ne plus considérer uniquement nos propres intérêts, comme dit l’apôtre Paul, mais aussi ceux des autres ?
Tout cela est une question de regard finalement.
Vous connaissez cette histoire d’un rabbin qui fait sa tournée habituelle chez les différents membres de sa communauté pour rassembler un peu d’argent pour la synagogue.
Il arrive chez l’un d’eux qui a la réputation d’être particulièrement riche …et qui pourtant explique au rabbin, que cette année il ne pourra rien faire. C’est la crise : il n’a plus les moyens de soutenir la synagogue.
Le rabbin le conduit à la fenêtre et lui dit :
- Qu’est-ce que tu vois ?
- Ben … c’est idiot ta question. Je vois la rue.
- Quoi encore ?
- Des arbres, des voitures,
- Et … ?
- Des gens, des gamins …
Le rabbin l’emmène alors à l’intérieur de la maison jusqu’à un miroir et lui dit :
- Et là, qu’est-ce que tu vois ?
- Ben … c’est toujours aussi idiot, tes questions … je me vois !
- Tu vois, lui dit le rabbin, dès qu’il y a un peu d’argent sur la vitre, on ne voit plus que soi-même.
Amen.
Texte méditatif II
Dieu notre Père,
Il y a tant de choses qui ne sont pas des fautes
Mais simplement des difficultés,
Des nœuds, des vagues
Des ouragans
Dans lesquels nous nous sentons emportés
Et où nous perdons pied jusqu’à nous noyer.
Il y a tant de choses qui arrivent
Sans que nous l’ayons ni cherché ni voulu
Mais parce que nous étions inconscients,
Aveugles, sourds, préoccupés seulement d’un bonheur personnel.
Et peu à peu, nous nous sommes asphyxiés dans le trouble, le regret, le remord et le noir.
Nos vies sont pleines de ces erreurs
Que nous payons aujourd’hui très cher.
De ces mirages qui nous laissent le cœur meurtri.
Nous t’en prions : viens fortifier nos vies.
Viens fortifier notre estime de nous-mêmes, sans laquelle nous ne pourrions rien entreprendre
Viens prendre notre main si nos pieds ne nous portent plus
Tiens-nous debout
Fais de nous des jardiniers du monde
Qui ne songent plus à surveiller tous les profits possibles
Mais se préoccupent de veiller sur lui dans la simplicité et l’humilité.
Aujourd’hui, et demain et toujours.
Amen.