Bienvenue à Cantate et Parole pour cette cantate 75, « Die Elenden sollen essen », qui est donc la première cantate que Bach fit entendre à Leipzig au moment de son entrée en fonction en tant que Cantor de St-Thomas.
Aujourd’hui un ensemble instrumental, des solistes, un chœur… jusque-là rien que de très « normal » pour Cantate et Parole, … mais ce qui change aujourd’hui, c’est que 7 jeunes chefs vont se relayer au pupitre de direction. 7 chefs qui poursuivent – ou terminent – leur formation de chef de chœur.
Bienvenue à eux.
Texte méditatif I
La vie humaine est étonnante
Incompréhensible parfois.
Certains jours, le soleil brille et tu ne sais pas pourquoi.
Tu es joyeux.
Tu vois les beaux et les bons côtés de la vie.
Tu ris, tu remercies, tu danses.
Ton travail avance.
Tout le monde est aimable avec toi.
Tu ne sais pas pourquoi.
Tu voudrais faire durer cet instant de paix et de joie profonde
Et d’un seul coup, tout est à nouveau changé.
Comme si un soleil trop brûlant attirait les nuages.
Tu es envahi par une tristesse
Que tu ne peux expliquer.
Tu vois tout en noir.
Tu crois que les autres se désintéressent de toi
La moindre futilité est une occasion pour te plaindre
Pour jalouser, pour lancer des reproches.
Et à nouveau tu ne sais pas pourquoi.
Pourquoi doit-il en être ainsi ?
Parce que l’homme est un morceau de « nature »
Avec des jours de printemps
Et avec des jours d’automne
Avec la chaleur de l’été
Et avec le froid de l’hiver.
Parce que l’homme suit le rythme de la mer :
Marée haute et marée basse.
Parce que notre existence est une continue alternance
De « vivre » et de « mourir ».
Lecture biblique : Luc 16, 19-31
Il y avait une fois un homme riche qui s’habillait des vêtements les plus fins et les plus coûteux et qui, chaque jour, vivait dans le luxe en faisant de bons repas.
Devant la porte de sa maison était couché un pauvre homme, appelé Lazare. Son corps était couvert de plaies. Il aurait bien voulu se nourrir des morceaux qui tombaient de la table du riche. De plus, les chiens venaient lécher ses plaies. Le pauvre mourut et les anges le portèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi et on l’enterra.
Il souffrait beaucoup dans le monde des morts; il leva les yeux et vit de loin Abraham et Lazare à côté de lui. Alors il s’écria:
- Père Abraham, aie pitié de moi; envoie donc Lazare tremper le bout de son doigt dans de l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre beaucoup dans ce feu.
Mais Abraham dit:
- Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu beaucoup de biens pendant ta vie, tandis que Lazare a eu beaucoup de malheurs. Maintenant, il reçoit ici sa consolation, tandis que toi tu souffres. De plus, il y a un profond abîme entre vous et nous; ainsi, ceux qui voudraient passer d’ici vers vous ne le peuvent pas et l’on ne peut pas non plus parvenir jusqu’à nous de là où tu es.”
Le riche dit:
- Je t’en prie, père, envoie alors Lazare dans la maison de mon père, où j’ai cinq frères. Qu’il aille les avertir, afin qu’ils ne viennent pas eux aussi dans ce lieu de souffrances.
Abraham répondit:
- Tes frères ont Moïse et les prophètes pour les avertir: qu’ils les écoutent!
Le riche dit:
- Cela ne suffit pas, père Abraham. Mais si quelqu’un revient de chez les morts et va les trouver, alors ils changeront de comportement.
Mais Abraham lui dit:
- S’ils ne veulent pas écouter Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader même si quelqu’un se relevait d’entre les morts.” »
MEDITATION
Le 22 mai 1723, a lieu à Leipzig un évènement qui fut relaté quelques jours plus tard dans un journal du Hosltein : «Ce dernier dimanche à midi, écrivait le chroniqueur, quatre charrettes arrivèrent de Koethen, chargées de meubles, qui appartiennent au maître de chapelle de la dite cour, puisqu’il vient d’être appelé à Leipzig en qualité de Cantor. Vers deux heures il arriva lui-même avec sa famille dans deux voitures et prit possession de l’appartement rénové de l’école St-Thomas. »
Et voilà la tribu Bach qui s’installe.
Ils arrivent donc de Koethen, qui était le centre d’une principauté, certes… mais Koethen, vu de Leipzig, c’est un peu Goumouëns le Jus vu de Genève. C’était surtout une toute petite ville, dix fois plus petite que Leipzig, ville universitaire, ville d’affaires aussi, qui comptait à l’époque plus de 30’000 habitants. Le contraste est saisissant.
Nous sommes donc le 22 mai et huit jours plus tard, le 30, Bach doit présenter sa première cantate à Leipzig.
La première cantate d’un Cantor de St-Thomas, c’est un peu comme … une leçon inaugurale pour un professeur.
C’est l’œuvre qui doit marquer.
L’œuvre qui doit donner le ton.
L’œuvre qui doit entériner, pour les habitants de Leipzig, le choix fait par les autorités, de confier désormais à Jean-Sébastien Bach tout à la fois la musique de trois églises et la responsabilité pédagogique de St-Thomas.
C’est donc un rendez-vous délicat, une oeuvre dans laquelle Bach va mettre tout ce qu’il sait faire, tout ce qu’il aime et tout ce qu’il a l’intention de composer.
Rendez-vous délicat aussi parce que Leipzig, je l’ai déjà dit, ce n’est pas un « petit bourg de province ».
C’est une ville importante,
une ville universitaire,
dans laquelle vit une bourgeoisie cultivée qui a de grandes attentes. Et ce dimanche 30 mai 1723, tout ce que Leipzig compte de professeurs, d’avocats, de médecins, de philosophes, de théologiens… et de politiciens, bien sûr, va se précipiter à l’église St-Thomas non seulement pour découvrir, mais pour jauger, mesurer, évaluer le talent de ce nouveau Cantor.
C’est un rendez-vous délicat, parce succéder à Johann Kuhnau enfin, le prédécesseur de Bach, n’était pas une mince affaire. En effet, cet organiste remarquable, qui avait fait pratiquement toute sa carrière à Leipzig, puisqu’il a été avait été Cantor de St-Thomas pendant près de quarante ans, était non seulement musicien remarquable, mais connaissait parfaitement l’hébreu, le grec, le latin, parlait couramment le français et l’italien, avait une formation complète en mathématiques et avait débuté sa carrière en tant qu’avocat.
Question « pression » sur les épaules de Bach, on peut difficilement faire mieux.
La cantate qu’il présente le 30 mai revêt donc à ses yeux une importance particulière,
c’est un véritable manifeste,
à la fois une profession publique de son talent de compositeur
et en même temps un exposé de ce qu’il entend faire chaque dimanche de la musique à Leipzig, comme on l’a souvent dit : une véritable prédication à l’égale de celle des pasteurs.
Bach décide donc que pour cette première cantate, d’abord, on va se donner du temps. D’où une cantate en deux parties, à peu près deux fois plus longue que beaucoup de cantates qu’il composera par la suite.
Ensuite Bach choisit un texte biblique. Et là, on pourrait parfaitement imaginer que pour séduire l’ensemble de la population de Leipzig, Bach choisisse un thème rassembleur. Ce qu’il fera le dimanche suivant d’ailleurs, avec la cantate 76 « Die Himmel erzählen die Ehre Gottes » (Les cieux racontent la gloire de Dieu). Les cieux racontent la gloire de Dieu … difficile d’être gêné par cette affirmation ! Raconter la gloire de Dieu c’est très bien. Tout le monde est d’accord … et en plus lorsque ce sont les cieux qui s’en chargent … ça ne mange pas de foin !
Mais pour le thème du 30 mai, Bach va prendre un risque beaucoup plus grand en choisissant cette histoire de Lazare et du mauvais riche.
Je suis absolument certains que dans nombre de salons mondains de Leipzig on a dû se dire : quelle faute de goût. C’est tout à fait normal de parler de richesse, de pauvreté, d’argent dans une église, mais le jour où le nouveau Cantor se présente !
C’est un peu comme si un nouveau professeur de sociologie à l’Université de Lausanne, au lieu de parler des prérogatives des clercs dans le nord de l’Europe à la fin du 13e siècle, ou du déclin de la démocratie à Athénes ou des Indiens Guaranis au 17e siècle, décidait d’évoquer la délicate question des Roms dans la ville de Lausanne ! Pour une leçon inaugurale ! Quelle faute de goût.
Ou mieux : c’est comme si le maire de la commune, lors de la première représentation d’un opéra, se mettait à parler « justice sociale », au milieu des petits fours et des verres de champagne … on trouverait tout cela déplacé.
Et bien c’est exactement ce que fait Bach.
Il choisit un thème hautement polémique dans cette ville universitaire qui est en même temps une ville riche, une ville d’affaires, une ville qui connait chaque année trois foires très importantes qui amènent à Leipzig un nombre considérable de visiteurs.
Il choisit le thème de Lazare et du mauvais riche. Et les riches bourgeois de Leipzig comprennent bien que c’est à eux qu’il s’adresse. Parce devant leurs maisons cossues, il y a des pauvres, il y a des mendiants… même si on ne les voit plus tellement on est habitué à leur présence. Et Bach rappelle à cette bonne société de Leipzig qu’il ne suffit pas de se presser à l’église St-Thomas, même pour y suivre régulièrement le culte, pour être pardonné de cette inattention à l’égard des déshérites…
Ensuite Bach rappelle que dans l’au-delà… il y aura un retournement de la situation. Continuez à faire des affaires, messieurs le bourgeois et les nobles de Leipzig, continuez à vous considérer comme sortis de la cuisse de Jupiter… lorsque vous serez morts, les choses vont se gâter pour vous.
Bref, avec un thème comme celui-là, Bach plombe l’ambiance !!! Et il la plombe de manière musclée.
Bon.
Je pourrais m’arrêter là.
J’ai repris le thème choisi par Bach.
J’ai respecté le temps relativement court de la méditation dans le cadre de Cantate et Parole.
Je pourrais m’arrêter là.
Mais j’aurais trahi Bach puisque j’aurais évoqué des thèmes qui ne nous concernent pas directement.
J’en étais là dans mes réflexions cette semaine, lorsque j’ai reçu l’appel de mon ami Marc Subilla qui m’a dit : j’ai vu le thème de la cantate de dimanche … est-ce que tu connais l’association « des calories pour la vie » ? J’ai dû répondre que non.
Je suis donc allé voir sur internet « des calories pour la vie » et j’ai trouvé un projet formidable. Un projet qui peut se résumer ainsi (je vous le dis en 3 lignes, mais sur le site internet il y a une petite vidéo de Marc qui dure tout de même une quinzaine de minutes). Un projet qui peut se résumer ainsi :
Sur notre planète dont nous disons volontiers après Marshall Mc Luhan qu’elle est un « village », il y a tout à la fois des hommes et des femmes qui mangent trop et qui souffrent de cette sur-nutritiona, et qui parfois en meurent, alors qu’un peu plus loin, il y a des hommes et des femmes qui ne mangent pas assez et qui meurent de cette sous-nutrition. Est-ce qu’on ne pourrait pas équilibert – un peu – ces deux phénomènes ?
Et la proposition de Marc pour ceux qui mangent trop est la suivante, renoncer à un repas par semaine et faire don de l’équivalent de ce repas à l’une ou l’autre association qui lutte efficacement contre la faim. « Des calories pour la vie » en propose 4 : PPP, Caritas, Medair et Helvetas. Mais bien sûr il y en a d’autres et vous pourriez tout à fait vous engager – nous pourrions tout à fait nous engager – en faveur d’une autre association.
Voilà donc une proposition très concrète – je ne l’ai pas fait souvent à Cantate et Parole – pour que la méditation d’aujourd’hui suscite un déplacement non seulement dans ses idées et dans ses convictions, mais aussi dans son comportement.
Et ainsi la provocation de Bach, le dimanche 30 mai 1723, restera-t-elle une pro-vocation, un appel à quelque chose.
Amen.
Texte méditatif II
Notre Dieu n’a pas de mains….
Notre Dieu n’a pas de mains il n’a que nos mains pour construire le monde d’aujourd’hui.
Notre Dieu n’a pas de pieds il n’a que nos pieds pour conduire les hommes sur son chemin
Notre Dieu n’a pas de voix il n’a que nos voix pour parler de Lui aux hommes
Notre Dieu n’a pas de forces il n’a que nos forces pour mettre les hommes à ses côtés
Nous sommes la seule Bible que les hommes lisent encore
Nous sommes la dernière parole de Dieu
l’Evangile qui s’écrit aujourd’hui
un mystique rhénan (XIV ème siècle)