Bienvenue à Cantate et Parole
Bienvenue à vous qui êtes là pour la première fois
Et Bienvenue à vous qui êtes des habitués
Et qui ce soir, ne retrouverez pas exactement ce qui fait l’originalité
De ce rendez-vous mensuel.
Parce que ce soir, vous le savez,
Ce n’est pas seulement une cantate
C’est toute une Passion qui vous est proposée.
Du coup, nous avons décidé que la parole se ferait plus rare.
Une petite intervention maintenant,
Deux au cours de la Passion.
Ce soir, la Parole est à Bach
Et aux merveilleux interprètes qui sont devant vous.
I
Le récit de la Passion n’est ni un fait divers
Ni une tragédie
C’est ailleurs qu’il faut chercher la nouveauté.
Lorsqu’on relit un Evangile,
On découvre à quel point chaque passage
Ne peut que coincer Jésus un peu plus
Dans un couloir de plus en plus étroit
De plus en plus serré,
De plus en plus fatal.
Chaque fois que Jésus bouscule l’ordre des choses
Chaque fois qu’il lest met en question
Au profit d’un homme neuf
Et d’un monde nouveau
On ne peut aboutir qu’à ce rendez-vous
De tous les hommes : la mort.
Jésus est dépouillé de sa liberté
Dépouillé du droit à la justice à élémentaire
De son apparence humaine
De ses vêtements
De ses titres
Il se sent même abandonné de Dieu.
Il ne reste plus que l’homme
L’homme seul et seulement l’homme.
Et on ne peut pas tuer l’homme.
II
Ils jettent Dieu au tribunal
Comme on jette un os au chien
Et ils rongent Dieu.
Et Jésus se tait.
Alors, ça commence
De Caïphe en Pilate,
De Pilate en Hérode,
De Hérode en Pilate,
De: «Parle» en: «Tais-toi!»
Et de gifles en crachats.
Alors ils condamnent Dieu à mort
Ils le damnent
Ils le jettent en enfer
Les imbéciles !
C’est justement là que Dieu rêvait d’aller.
Dieu en avait assez du ciel des basiliques
Des révérences, de la religion
De la lettre, des rites
Et du tapage doré de la cérémonie.
Dieu ne se sent bien dans sa peau
Que chez les pauvres
Chez les damnés
Les condamnés,
Les prisonniers,
Les émigrés,
Les exilés,
Les rejetés,
Les boiteux de l’existence,
Les paralysés de la malchance
Les lépreux du bonheur…Ils croyaient humilier Dieu
En le condamnant à une mort d’homme
Mais c’est en se manifestant
Comme condamné à mort
Précisément, que Dieu refuse
De rentrer dans l’ordre.
Désormais, l’homme mis à mort
Sera la trace brûlante de Dieu.
La nuit est bâchée de noir,
Avec sous ce deuil
Un braséro de corps de garde
Pour que trois fois Pierre puisse renier Jésus :
Solitude de Pierre,
Parce que les pierres sont toujours seules :
« Je ne le connais pas… »
« Je ne comprends pas ce que vous voulez dire… »
« Je ne connais pas l’homme… »
Pierre renie l’homme,
Désormais renier l’homme
Sera toujours renier Dieu.
Dieu a cessé d’être une idée
Dieu ne se tient plus à l’abri de Dieu
Dieu peut être blessé !
III
Et voici Pilate, réveillé en pleine nuit
Qui gravit le tribunal.
Il faut faire vite, la lune n’attend pas,
Et demain sera le jour de manger l’agneau de la Pâque.
« Qui voulez-vous que je vous libère pour l’amnistie de Pâque ?
Jésus ou Barrabas ? »
Il s’agit de choisir la victime.
Le seul fait de vouloir exister
Devient pour l’autre violence et meurtre.
Jésus de Nazareth se trouve placé du même coup
En état de culpabilité.
Se défendre, c’est déjà accuser l’autre.
« Lequel des deux ? »
Il n’y aura pas de décision,
Mais seulement une
mise en scène.
La foule joue,
Pilate fait monter les enchères.
A force de ne pas choisir, il a déjà choisi :
Il laissera aller les choses,
« Voici l’homme !» crie Ponce-Pilate
Et la foule s’en fout.
Dieu a changé de bord.
Il quitte sa haute cour
Pour le banc des accusés.
Il se lève de son tribunal
Pour n’être plus qu’un prévenu.
Ce n’est plus lui qui inculpe,
C’est lui qui est suspect !
Ce n’est plus lui qui condamne,
C’est lui qui est repris de justice !
Il n’est plus Juge, mais coupable.
Dieu se déshabille
Pour plonger dans le fleuve
Et passer la mort
Dieu laisse tout
Pour passer la frontière
Et franchir l’interdit
Dieu est démarqué
Expulsé de ses cachettes
Débusqué de ses paravents
Chassé de ses recoins
Dévoilé de derrière ses rideaux
Déshabillé de son saint des saints
De ses rôles
De ses fonctions
De ses vêtements de prêtre
Et de cérémonie
Déshabillé de son autorité
Et de sa gloire
Dieu est tondu
Comme le mouton de sa laine
Dieu s’en va aussi nu
Qu’il est venu
Une nuit Dieu s’est fait homme
Aujourd’hui, ils le font comme un rat.