Ensemble vocal BIS, direction Olivier Piguet
Cantate BWV 109 « Ich glaube, lieber Herr »

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Bienvenue à Saint Laurent en ce bel été indien. Bienvenue pour la 21e saison de Cantate et

Parole. 21 saisons, déjà… et on s’en souhaite beaucoup encore. Merci de votre fidélité. Elle nous encourage et nous fait penser qu’entre la cantate et la parole, il y a un espace que vous avez plaisir et intérêt à habiter. Un espace qui fait sens et qui donne du sens au temps qui vient.

Avec l’ensemble Vocal bis et son chef Olivier Piguet, avec les solistes et les instrumentistes, avec l’orgue, nous voilà prêts à faire entrer en résonnance la cantate et la parole.

Place à l’orgue, donc…

Texte méditatif

Un jeune homme est allé voir un jour le rabbin de sa communauté et lui a dit :
– Rabbi, je n’ai pas la foi.
– Bon, et alors ? lui a répondu le rabbin. Qu’est-ce que ça peut faire ?
Le jeune homme insiste :
– Non, mais je veux dire, la Bible, tout ça… je n’y crois pas.
– Et alors, qu’est-ce que ça peut faire ?
– Non mais… comprenez-moi bien, rabbi. Même Dieu, je n’y crois pas !
– Et alors, qu’est-ce que ça peut faire ?
– Mais enfin, Rabbi, cessez avec vos “Qu’est-ce que ça peut faire ?”. Vous êtes rabbins, tout de même !
Alors le rabbi a demandé :
– ça t’embête donc tant, que tout ça n’existe pas ?
– Si ça m’embête, que Dieu, la Bible, le ciel n’existent pas, dit le jeune homme ! Mais ça me déchire complètement !
Et le rabbi de lui répondre :
– Eh bien, c’est exactement ça, la foi.

 Jean-Jacques Fdida, Contes des sages juifs, chrétiens et musulmans. Histoires tombées du ciel, Paris, Seuil, 2006.

Lecture biblique : Marc 9,15-27

 Dès qu’elle vit Jésus, toute la foule fut remuée et l’on accourait pour le saluer.

Il leur demanda : « De quoi discutez-vous ? »

Quelqu’un dans la foule lui répondit : « Maître, je t’ai amené mon fils ; il a un esprit muet. L’esprit s’empare de lui n’importe où, il le jette à terre et l’enfant écume, grince des dents et devient raide. J’ai dit à tes disciples de le chasser et ils n’en ont pas eu la force ».

Prenant la parole, Jésus leur dit : « Génération incrédule, jusqu’à quand serai-je auprès de vous ? Jusqu’à quand aurai-je à vous supporter ? Amenez-le-moi.  » Ils le lui amenèrent. Dès qu’il vit Jésus, l’esprit se mit à agiter l’enfant de convulsions ; celui-ci, tombant par terre, se roulait en écumant. Jésus demanda au père : « Depuis combien de temps cela lui arrive-t-il ? » Il dit : « Depuis son enfance. Souvent l’esprit l’a jeté dans le feu ou dans l’eau pour le faire périr. Mais si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par pitié pour nous ».

Jésus lui dit : « Si tu peux ! Tout est possible à celui qui croit ». Aussitôt le père de l’enfant s’écria : « Je crois ! Viens au secours de mon incrédulité ! »

Jésus, voyant la foule s’attrouper, menaça l’esprit impur : « Esprit sourd et muet, je te l’ordonne, sors de cet enfant et n’y rentre plus ! » Avec des cris et de violentes convulsions, l’esprit sortit. L’enfant devint comme mort, si bien que tous disaient : « Il est mort ». Mais Jésus, en lui prenant la main, le fit lever et il se mit debout.

 

Méditation

Je crois, mais…

Christian Wolf, ce nom vous dit quelque chose ?

A moi non plus, il ne me disait rien, jusqu’à ce que je lise son histoire en lien avec notre cantate. On ne connaît pas souvent les circonstances dans lesquelles Bach a écrit ses cantates, mais celle-là, oui. C’est l’histoire de Christian Wolf, un professeur de mathématiques de l’Université de Halle, près de Leipzig. Bach écrit cette cantate pour le dimanche 17 octobre 1723, il y a presque cinq cents ans jour pour jour.

Deux ans auparavant, devant un auditoire de mille personnes, Christian Wolf a prononcé une conférence qui déclencha un tollé. C’était une conférence sur la philosophie chinoise. Wolf a défendu l’idée que le confucianisme était une philosophie d’une aussi haute qualité et une morale d’une aussi haute vertu que le christianisme. Il n’était donc pas besoin de croire en un Dieu pour être vertueux.

Sa conférence a déclenché un tollé. On a traité Wolf d’athéisme. Les théologiens se sont déchaînés. En novembre 1723, il a été démis de ses fonctions et banni de Prusse, avant d’être réhabilité trois ans plus tard par Frédéric II roi de Prusse. Voilà dans quelle situation Bach a écrit notre cantate, dont le nom ne tombe pas du ciel : « Je crois Seigneur, viens au secours de mon incrédulité ! » Une parole biblique, dont vous connaissez sans doute le récit.

L’histoire d’un père. Le père désespéré d’un enfant épileptique agité de terribles convulsions. A l’époque, on pensait que cette agitation incontrôlable provenait d’un mauvais esprit qui avait pris possession de l’individu. Le père demande à Jésus : « Si tu peux quelque chose, par pitié, viens à notre secours ! ». Et à cet appel à l’aide, Jésus répond par une de ces formules qui lui ressemblent : « Si tu peux ! Tout est possible à celui qui croit ». Comprenez bien : non pas « si je crois, je serai le roi du monde », mais « si je lui fais confiance, Dieu pour moi peut faire l’impossible ». C’est alors que le père de l’enfant a ce cri du cœur : « Je crois ! Viens au secours de mon incrédulité ! »

J’y crois, mais… J’y crois et en même temps j’en doute. J’y crois, mais en moi quelque chose résiste. Vous-mêmes, quand vous avez entendu « si je lui fais confiance, Dieu pour moi peut faire l’impossible », n’est-ce pas ce que vous vous êtes dit : trop beau pour être vrai ?

Le rapport avec l’histoire de Christian Wolf ? Eh bien, il a eu face à lui des gens qui se considéraient infaillibles dans leurs convictions. Vous rencontrerez toujours des gens pour vous dire : si on a la foi, on a la foi, et on ne doute pas. Si tu pries, tu es exaucé, ou alors c’est que tu n’as pas prié avec assez de conviction. Vous rencontrerez toujours sur votre chemin des gens pour qui la foi est une forteresse, un bunker, que rien ne peut attaquer. Les adversaires de Christian Wolf n’ont pas toléré qu’on juge la philosophie chinoise aussi élevée et aussi vertueuse que la foi. Interdit de douter !

Ils ont mal lu l’Evangile. Parce que cette parole du père, qui est une des paroles les plus étincelantes sur la foi qu’on puisse lire dans l’Evangile, cette parole du père fait comprendre que le contraire de la foi n’est pas le doute. Le contraire de la foi, c’est la peur. La peur devant l’avenir, la peur devant la souffrance, la peur devant la mort. La peur devant ce qui peut nous engloutir. Et pour mettre à distance cette peur, l’Evangile ne propose pas une conviction en béton. L’Evangile propose la foi, c’est-à-dire la confiance en un Dieu qui veut notre bien… jusqu’à nous faire vivre ce que nous ne pensions pas possible.

Une confiance, pas plus. Mais qui permet d’avancer… malgré le « je crois, mais… ». Parce que nous sommes des êtres pétris de contradictions. Il y a ce qui nous pousse et ce qui nous retient. Ce qui nous donne de l’élan et ce qui nous retient. Ce qui nous fait espérer et ce qui nous décourage. Personne n’échappe à ces contradictions. La parole du père exprime une profonde vérité humaine, que l’on soit croyant ou pas : la conscience que nous ne sommes pas, Dieu merci, des blocs de béton. Les personnes aux convictions d’acier me font peur. Parce que l’intolérance a toujours conduit à tous les crimes.

J’en étais là dans ma réflexion quand, en naviguant sur internet, je suis tombé sur une analyse musicologique de notre cantate, et là, au beau milieu de cette analyse, la déclaration d’une politicienne vaudoise. Je me suis frotté les yeux, non je ne rêvais pas : au milieu d’une analyse de notre cantate, une déclaration de Suzette Sandoz sur le titre de la cantate. Suzette Sandoz dont vous connaissez sans doute la force de pensée, la pétulance, la conviction pointue. Voici ce qu’elle déclare (je traduis de l’allemand, car ses propos sont cités dans cette langue) :

 

Quand je suis invitée comme politicienne à défendre ou à combattre une proposition de loi, une initiative ou une idée, je ressens toujours le besoin de le faire avec passion, car c’est mon tempérament. Mais je sais aussi que dans un recoin de mon cerveau s’allume comme une lumière rouge qui me dit : Fais attention ! N’oublie pas que tu n’es pas infaillible ! Dans la cantate « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité », ces paroles du père d’un enfant malade, même en dehors de toute référence théologique, sont l’expression de la nature humaine, déchirée entre le bien et le mal, la confiance et la méfiance, la certitude et le doute.

De fait, il n’y a pas de meilleur manuel psychologique que la Bible. Elle témoigne d’une connaissance de l’humain, que les plus anciens philosophes possédaient aussi, indépendamment de toute religion.

 

Et Suzette Sandoz de conclure :

Tous ceux qui portent une responsabilité ou exercent une fonction de direction, tous ceux qui sont chargés de former la jeunesse ou de forger l’opinion publique devraient réfléchir à cette parole. Elle contraint en effet à reconnaître sa propre faillibilité. Même si l’on poursuit son chemin avec enthousiasme, elle appelle à respecter que d’autres puissent défendre leurs propres opinions, même contraires. Nous vivons un temps où la parole « Je crois, Seigneur, viens au secours de mon incrédulité » tombe dans l’oubli.

Du coup, je me prends à rêver : le démon que Jésus chasse du corps de l’enfant serait-ce le démon de l’infaillibilité, de l’intolérance et du refus de discerner ses propres contradictions ?

 

Texte méditatif

Si tu te sens très pauvre
Devant le temps qui vient
Alors tu béniras les marées du silence.
Dans le ciel de ton cœur,
Tu ne souhaiteras rien
Dont tu n’aies reçu le don.
Si tu te sens vulnérable
Incertain de tes jours,
Tu recevras en toi la vie
Comme un cadeau.
Tu feras face à tout
Délivré de tes peurs
Amoureux sans repos
Faisant danser l’étoile
Tout au fond du chaos.
Si tu ne comprends pas
Où va le monde qui vient,
Si tu le trouves gros
De menaces infécondes,
Alors tu seras tendre
Avec chaque bourgeon
Chaque printemps à naître
Chaque vie qui commence
Chaque nuit qui s’achève.

Jean Lavoué, « Ce rien qui nous éclaire »

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