Texte méditatif I
« Ah ! Si j’étais riche »…
Ça se dit probablement dans toutes les langues…
Comme « maman » ou « papa »
Vous vous souvenez de « If I was a rich man » …
Pourtant, il ne suffit pas d’être riche pour être heureux.
Il y a des riches qui ne trouvent pas d’intérêt à la vie
Qui sont solitaires et désemparés.
Et combien de riches qui donneraient toutes leurs richesses pour un peu de santé ?
Mais il ne suffit pas d’être en bonne santé pour être heureux.
Beaucoup de ceux qui sortent du lit, le matin, avec une santé de fer
Ont un moral de coton.
Ils se disent que dans leur vie
Ils ont raté de nombreux aiguillages
Ils n’ont pas choisi le bon chemin
Ils voudraient recommencer
En un mot, ils voudraient être à nouveau jeunes
Pourtant, être jeune ne suffit pas non plus pour être heureux.
Beaucoup de jeunes sont désemparés, désorientés,
Ont de la difficulté à trouver leur place
A trouver un sens à leur vie …
Richesses, santé, jeunesse :
Le compte n’y est jamais
Et le bonheur non plus.
Pour que le bonheur fasse partie de notre vie,
Il faut que quelque chose en nous
– Ou quelqu’un –
Devienne notre richesse,
Notre santé
On notre jeunesse.
Lecture biblique : Psaume 6
SEIGNEUR, tu es en colère contre moi, mais ne me condamne pas !
Tu en as assez de moi, mais ne me punis pas !
Pitié, SEIGNEUR, je n’ai plus de force !
Tout mon corps tremble : SEIGNEUR, guéris-moi !
Je suis tout tremblant.
SEIGNEUR, ne me fais pas attendre !
Reviens, SEIGNEUR, délivre-moi,
sauve-moi à cause de ton amour !
Les morts ne peuvent plus penser à toi.
Chez eux, qui peut te dire merci ?
Je suis épuisé à force de gémir.
De mes larmes, j’arrose mon lit,
chaque nuit, j’inonde le lieu de mon repos.
Mes yeux sont brûlés par le chagrin,
je ne vois plus clair tellement j’ai d’ennemis.
Partez, je ne veux plus vous voir, vous qui faites du mal !
Car j’ai pleuré, et le SEIGNEUR m’a entendu.
Le SEIGNEUR a entendu mon cri,
le SEIGNEUR a reçu ma prière.
Que tous mes ennemis soient couverts de honte,
qu’ils tremblent de peur, qu’ils reculent, tout à coup pleins de honte !
Méditation
Comment as-tu pu, mon Dieu, dans ma détresse, dans ma crainte et mon découragement, te détourner autant de moi ? Est-ce que tu ne connais plus ton enfant ? Est-ce que tu n’entends plus la plainte de ceux qui t’aiment ? Je te cherche en tous lieux, je t’appelle, je te réclame à grands cris, mais je n’entends que ma propre plainte. On dirait que t’en fous !
Ce n’est pas une traduction tout à fait littérale du texte de la cantate, mais c’est une traduction qui en respecte totalement le sens.
La cantate d’aujourd’hui est la plus longue de toutes les cantates de Bach, elle est aussi l’une de mieux documentées. Bach en compose une première version en 1713, quand il est à la cour de Weimar et qu’il cherche un poste qui lui convienne mieux. L’organiste de Halle, l’ancien maître de Haendel, meurt et Bach se présente à ce poste en interprétant justement cette cantate.
En juin 1714, il donne une deuxième version de cette cantate à la cour de Weimar. En 1720, une troisième version à Köthen et cette même année, un peu plus tard, une quatrième version qu’il joue à Hambourg lorsqu’il se présente pour être titulaire de l’orgue de l’église Saint-Jacques.
Dit comme ça, ça fait terriblement « université populaire ». Je vous le concède.
Si j’ai rappelé ces différentes versions, c’est pour attirer votre attention sur la troisième parce que c’est probablement celle qui s’est inscrite de manière définitive dans le cœur de Bach.
En effet, en juillet 1720, Bach perd sa femme, la soprano Maria Barbara Bach. Au moment de son décès, il n’est pas à Köthen. Il est en voyage avec son employeur, le Prince Leopold d’Anhalt-Köthen. Et lorsqu’il rentre, début septembre, il apprend que sa femme a été enterrée le 7 juillet.
Elle avait 36 ans. Ils avaient 7 enfants. Pourquoi ? On pourrait paraphraser le texte de la cantate en l’appliquant à celui qu’on a souvent nommé le « 5e évangéliste » :
Comment as-tu pu, mon Dieu, te détourner autant de Bach ?
Il te cherche en tous lieux, Il t’appelle, il te réclame
Il n’entend que ses pleurs
On dirait que tu t’en fous !
1. Le droit à la plainte.
Le librettiste de Bach indique qu’il a puisé son texte dans le psaume 6 et le 9. En fait, on pourrait en ajouter des dizaines.
Il y a des dizaines de Psaumes dans lesquels le priant le plaint d’être abandonné de Dieu.
Et la première chose que ces chants, ces prières racontent, c’est que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de David, est un Dieu qui autorise la plainte. Et non seulement la plainte à la vaudoise ! Le vaudois courageux : « Excuse mon toupet mais je me demande si tu n’y vas pas un tout petit peu fort avec moi.», non. Dieu autorise une plainte musclée.
Et les psalmistes ne s’en sont pas privés. : « Jusqu’à quand est-ce que tu vas m’en vouloir ? Reviens me délivrer! Sauve-moi ! Quand je serai mort, est-ce que tu penses que je pourrai encore penser à toi ! Chez les défunts, il n’y a pas de cantique ! » (C’est le Psaume 6).
Et ce « droit de plainte » a des conséquences : si nous avons le droit de nous plaindre auprès de Dieu, cela signifie aussi que les malmenés de notre société, les exclus, les paumés, tous ceux qui vivent sur notre escalier, qu’ils soient drogués, sdf, Roms ou requérants… ont le droit de se plaindre auprès de nous.
Ne disons-nous pas en effet dans certaines de nos prières que nos mains sont les mains de Dieu et que nos oreilles sont les oreilles de Dieu ?
2. Admettre qu’on ne sait pas.
Je suis allé regarder sur internet sous « silence de Dieu » ou sur « non exaucement des prières ». Et j’ai été fasciné par le nombre de gens qui « savent » pourquoi Dieu n’exauce pas nos prières.
Pourquoi Dieu reste insensible à nos appels.
Pourquoi Dieu semble nous avoir abandonnés.
« La réponse est simple, dit l’auteur d’un article : Vous ne pouvez espérer de véritables réponses à vos prières si vous ne priez le Dieu véritable de la bonne manière. » Eh bien voilà.
La réponse est simple. Dieu est sourd parce que vous priez mal. « Monsieur Jean-Sébastien Bach, si vous demandez à Dieu pourquoi votre femme est morte à 36 ans en vous laissant sept enfants en bas, âge, non seulement vous ne posez pas la bonne question mais en plus vous vous exprimez mal. »
On croit rêver.
En lisant ces articles, je ne pouvais pas m’empêcher de penser aux amis de Job. Vous vous souvenez Élifaz, Bildad et Tsofar. Eux aussi, ils savent. Ils savent pourquoi Job est si mal sur son fumier. Et ils savent pourquoi Dieu ne lui répond pas. Ils savent que Dieu récompense le bien et punit le mal et pour eux, ça ne fait pas un pli : si Job est frappé de si grands malheurs, c’est qu’il est coupable. Et ils le lui disent.
– Réfléchis, Job, tu as dû faire quelque chose de mal c’est pas possible autrement. Reconnais tes fautes, et Dieu te rétablira.
Et vous vous souvenez de la réponse de Job, qui est une tronche : il n’en veut pas. Et Il n’en veut pas parce qu’il est convaincu qu’il n’est pas coupable. Et que Dieu est injuste.
Je crois qu’à relire les articles d’internet ou à relire les grands discours des amis de Job, on ferait bien, parfois, d’être plus modestes.
Entendez-moi bien : non pas pour dire « je suis coupable », « il est coupable », « nous sommes coupables »… non.
Pas une modestie pour nous aplatir en descente de lit.
Une modestie qui est acceptation des limites de notre compréhension.
Au lieu de tenir de grands discours sur Dieu, comme si nous les avions élaborés avec lui, ne ferions-nous pas mieux parfois de dire : « je ne comprends pas ».
– La mort de Maria Barbara Bach à 36 ans, je ne comprends pas.
– La mort d’Oscar – comme la mort de tous les petits garçons de 10 ans qui succombent à un cancer – je ne comprends pas.
– La mort d’un petit enfant syrien échoué sur une plage turque, je ne comprends pas.
Et non seulement je ne comprends pas la soudaineté de certains de ces drames, mais je comprends encore moins les drames lents, les drames au cours desquels des hommes et des femmes admirables, croyants, fidèles, priants, ont insisté auprès de Dieu pour que cette coupe passe loin d’eux … et la coupe leur est tombée dessus.
Mon mât et mon ancre vont se rompre
Je tombe dans le vide
Je vois déjà le gouffre de l’enfer
A chanté le ténor.
Dans sa pièce de théâtre « Draussen vor der Tür », Wolfgang Borchert décrit cette détresse de l’homme de foi : « Tu sais, Dieu, nous t’avons cherché dans toutes les ruines, au fond de tous les trous de grenades, à travers toutes les nuits. Nous t’avons appelé, Dieu. Nos gémissements, nos pleurs, nos jurons ont tenté de t’atteindre. Et où étais-tu, bon Dieu ? Où étais-tu ce soir ? Tu t’es détourné de nous ? Tu t’es emmuré dans tes vieilles églises ? »
C’est étonnant à quel point ces mots qui sont à la frontière entre des expressions bibliques et des trouvailles du librettiste de Bach, nous pourrions les prendre à notre compte.
3. Le retournement
Comme souvent dans les cantates de Bach, on assiste tout à coup à un retournement spectaculaire. Le ténor a à peine chanté « Je vois le gouffre de l’enfer » que le chœur répond «Qu’as-tu à t’affliger, mon âme, (…) espère en Dieu, car je le louerai encore».
Aucune transition. Rien.
« Espère en Dieu, je le louerai encore ».
Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce que Bach est complètement schizophrène ?
Ou est-ce qu’il baigne soudain dans le déni ?
Ni l’un ni l’autre.
Simplement Bach a lu l’Evangile jusqu’au bout.
Il sait qu’à la croix, Dieu ne tourne pas le dos au condamné de droit commun, il le fait asseoir à sa droite. Avec la croix et la résurrection, on tord définitivement le coup aux péroraisons des amis de Job.
Fini de croire que Dieu ne s’occupe que des jeunes, riches et en bonne santé.
Au contraire : Dieu ressuscite un condamné de droit commun, cloué lamentablement sur un morceau de bois comme un oiseau proie à la porte d’une grange.
Et c’est cela – et uniquement cela – qui fait dire à l’Apôtre Paul que « rien ne pourra désormais nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature » . …
Amen.
Texte méditatif II
Je vous en prie, ne me demandez pas si j’ai réussi à surmonter ma douleur
Ne me dites pas qu’elle est mieux là où elle est maintenant,
Ne me dites pas qu’elle ne souffre plus,
Ne me dites pas que vous savez ce que je ressens,
à moins que vous aussi, vous ayez perdu votre femme.
Ne me demandez pas de guérir,
le deuil n’est pas une maladie dont on se débarrasse facilement.
Ne me dites pas « au moins vous l’avez eue pendant quelques d’années »,
A quel âge pensez-vous qu’il est juste de mourir ?
Ne me dites pas que Dieu n’inflige pas plus que ce que l’homme peut supporter.
Dites-moi simplement que vous êtes désolés.
Dites-moi que vous vous souvenez de ma femme, si vous vous rappelez d’elle
Et laissez-moi encore une fois, vous en parler.
(D’après Rita Moran)