Texte méditatif d’entrée
Avant que le chaud ne revienne
et que n’éclate le printemps,
avant que le vert ne l’emporte
rhabillant les rameaux dévêtus,
il est un temps de l’entre-deux
parfois difficile à vivre :
quand la neige se salit de boue
et l’âme frissonnante se cherche,
les matins gris décourageants
qui n’attendent que le crépuscule…
restent ces gestes de toujours
qu’il faudra bien finir par faire
pour renouer avec le jour…
La tentation est grande alors
de chercher un coupable au malheur
qui nous étreint et nous étouffe…
on se prend à questionner Dieu
qui pourrait en être l’auteur :
qu’il s’explique une bonne fois pour toutes
ce désarçonnant Créateur…
nous attendons une réponse
la question nous revient en écho…
c’est qu’il faut la poser autrement…
temps douloureux de l’entre-deux
où l’on tâtonne, où l’on raisonne…
Dieu, que nous tenons à distance,
se tient pourtant si près de nous
et nous souffle patiemment : confiance !
Texte biblique : Psaume 23
Le Seigneur est mon berger, je ne saurai manquer de quoi que ce soit…
Il me donne du repos dans des oasis de verdure
Il me mène près des eaux reconstituantes
Il me ranime.
Il me conduit sur des chemins de justice à cause de ce qu’il est.
Même lorsque j’ai à marcher dans des endroits ravineux où règne « l’ombre-mort », je ne crains pas le mal, simplement parce que je sais, je te sens avec moi.
Ton bâton de berger me rassure.
Devant moi et face à mes adversaires, tu dresses une table de fête, tu me parfumes la tête d’huiles précieuses ; ma coupe est pleine et enivrante…
Oui, bonheur et fidélité m’accompagneront tous les jours de ma vie…
J’habite la maison du Seigneur à longueur de jours
Temps de parole
Non pas une musique solennelle, grave ou majestueuse… quelque chose de gai, d’un peu dansant, exhalant de la sérénité, mais avec un goût de fête : cors et timbales, flûte, hautbois et basson… Un temps de la Passion – nous y sommes – qui contient déjà l’abandon serein – rien à voir avec la résignation ! – ce qui permet justement un combat confiant…
Mais quel chemin et quelle lucidité chez le compositeur pour parvenir, pour aboutir à cette cantate « ce que Dieu fait est bien fait ». Il nous y avait déjà habitué, mais c’est comme si, à chaque nouvelle découverte, on était invité à aller un peu plus profond… Comme si la musique menait à plus de musique, comme si plus de musique conduisait à plus d’humanité et comme si plus d’humanité ouvrait à la présence de Dieu… On se laisse alors porter, probablement parce que la musique fait vibrer en nous autre chose que la raison et qu’elle parle à notre être profond : elle n’explique pas par des mots ou par des notes, mais elle nous fait sentir et ressentir une émotion ; elle recentre, elle contribue à faire tomber nos barrières et nos résistances, elle enchante… Oui, quel chemin Bach a fait et quel chemin il nous fait faire pour que nous puissions nous associer à ce leit-motiv « Was Gott tut, das ist wohl getan ! ».
Il faudrait dire : quel chemin il nous invite à faire – comme nous y invite le psaume 23 d’ailleurs : je ne manque de rien… Parce que nous peinons bien souvent à comprendre notre vie, notre chemin ; nous peinons parce que nous aimerions bien donner sens et que nous ne comprenons pas toujours. Carl Keller – qui fut un maître de spiritualité méconnu – nous disait constamment : nous n’avons pas assez de recul et parfois une vie n’y suffit pas », pour entrer dans le regard de Dieu, pour laisser Dieu nous habiter et ne pas le laisser en dehors, détaché, dans un ciel inaccessible séparé de la terre. Il faudrait peut-être d’abord « comprendre » Dieu, dans le sens premier du mot, le prendre avec… Annick de Souzenelle offre cette belle formule : « quand on est détaché du Ciel, on est forcément détaché de la Terre ». Pouvoir chanter « Ce que Dieu fait est vraiment bien fait », c’est relier étroitement, en nous, le Ciel et la Terre. Prendre Dieu avec, c’est donc aussi et en même temps comprendre notre vie. Et donc se placer sur un tout autre terrain que celui de la logique et de l’explication, et de ce penchant qui nous habite à toujours vouloir trouver un coupable à ce qui nous arrive de désagréable… Le psaume disait : lorsque (non pas si, mais bien lorsque…) je dois passer par le ravin de l’ombre-mort, je ne crains pas car je te sais avec moi… Dans son dernier roman « Ce que le jour doit à la nuit », Yasmina Khadra met dans la bouche d’un vieil oncle, d’un sage, cette parole à un jeune homme en quête de lui-même et du sens de ce qu’il vit de douloureux : « si tu veux pleurer, pleure ; si tu veux espérer, prie ; mais, de grâce, ne cherche pas de coupable là où tu ne trouves pas de sens à ta douleur ».
Tenir ensemble Dieu et ma vie, laisser le ciel féconder ma terre, c’est le défi de toute existence qui se veut pleine. Non se résigner, mais affronter sereinement en se remettant. Ce qui faisait dire à Paul, qui avait compris bien des choses lui aussi : « vous êtes le temple de Dieu ». L’important, ajouterais-je, n’étant pas que l’homme aille dans le temple, mais que le temple soit dans l’humain. Alors, la vie devient une. Et parler de Dieu devient ou revient à parler de l’humain. Exactement dans la ligne de cette petite histoire que vous connaissez peut-être et qui met en scène un ancien élève qui va voir son ancien maître. Le maître lui demande comment vont ses affaires.
- Bien, répond le visiteur. J’ai une entreprise qui marche bien et qui se développe. Je gagne bien de l’argent.
- C’est bien, dit le maître, mais comment vont tes affaires ?
- Je vous l’ai dit j’ai une bonne entreprise. En outre, ma femme est magnifique et j’aime mes enfants.
- Fort bien, dit le maître, mais comment vont tes affaires ? l’homme est un peu surpris par le tour que prend la conversation. Il répond :
- Je vous l’ai dit, j’ai une belle entreprise, une belle famille, beaucoup d’amis, une vie sociale très riche…
- Tout cela est très beau, dit le maître, mais… comment vont tes affaires ? l’ancien élève ne comprend plus rien:
- Que voulez-vous dire par comment vont tes affaires ?
- Eh bien, répond le maître, jusqu’à maintenant tu ne m’as parlé que des bénédictions de Dieu sur ta vie ; tu m’as parlé des affaires de Dieu… Ce que je voudrais savoir, ce sont tes affaires à toi, et la seule chose qui dépend de toi, c’est : ton cœur devant Dieu ! comment est ton cœur devant Dieu ?…
Was Gott tut, das ist wohl getan… Alors la vie prend couleur et permet de donner leur place aussi bien aux choses difficiles qu’aux choses agréables : tout étant devant Dieu et nous étant en Dieu et Dieu ayant sa place en nous.
Texte méditatif final
Was Gott tut, das ist wohl getan !
temps de passion, temps de souffrance,
temps de cri, suspendu…
nous ne comprenons pas tout,
la raison ne suffit pas,
ne comble pas, patience…
Ce que Dieu fait est bien fait :
le recul est nécessaire
pour ne plus se penser centre,
pour ouvrir à la lumière
le cœur qui battait du noir…
temps de passion, temps de souffrance,
temps de silence, suspendu…
ne plus se crisper, patience,
tenter le lâcher prise, enfin.
Accepter Dieu comme chemin,
ce n’est pas se résigner,
noyé dans la fatalité…
mais chercher à donner sens…
pouvoir dire avec confiance
« ce que Dieu fait est bien fait »
ce n’est pas nier la souffrance
ni occulter tout le malheur…
c’est pouvoir envisager
que tout prend sens, même sa fin,
et tirer de ce qui peine
le viatique du chemin,
son pain, son sel, son levain…
temps de passion, temps de silence,
puis temps de cri, suspendu…