Texte méditatif – « Ils attendaient »
Sous les hauts lambris
Qu’un vieil or cisèle,
L’huissier en habit
De moire et dentelle
Prêtre au sanhédrin
Du grand protocole
Annonça soudain :
– Voici la Parole !
Tout ce beau monde, à toi et à tu
Tout ce beau monde alors se tut
Avança le cou
Par-dessus la fête
Se monta le coup
Pour montrer sa tête.
– La parole ?
Ils attendaient un Prince
Magistrat, procureur,
Gouverneur de Province
Ou neveu de l’Empereur
Ils attendaient un comte
Quelque noble marquis
Archiduc ou vicomte,
Tous gentilhommes exquis
Ils attendaient un titre
Un bel abbé de chœur
Une tiare, une mitre,
Un cardinal vainqueur
Ils attendaient un ange
Un messager des cieux
Séraphin ou archange
Oncle, ou neveu de Dieu
Ils attendaient la reine
Ou quelque maréchal
De glorieux capitaines
Un brillant amiral
Ils attendaient la Science
Le Sage et le Savant
Le grade et l’expérience
Mais il vint … un enfant.
Evangile de Luc, chapitre 2, v. 21-32
Le huitième jour après la naissance, le moment vint de circoncire l’enfant ; on lui donna le nom de Jésus, nom que l’ange avait indiqué avant que sa mère devienne enceinte.
Puis le moment vint pour Joseph et Marie d’accomplir la cérémonie de purification qu’ordonne la loi de Moïse. Ils amenèrent alors l’enfant au temple de Jérusalem pour le pré-senter au Seigneur, car il est écrit dans la loi du Seigneur : « Tout garçon premier-né sera mis à part pour le Seigneur. » Ils devaient offrir aussi le sacrifice que demande la même loi, « une paire de tourterelles ou deux jeunes pigeons. »
Il y avait alors à Jérusalem un certain Siméon. Cet homme était droit ; il respectait Dieu et attendait celui qui devait sauver Israël. Le Saint-Esprit était avec lui et lui avait appris qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le Messie envoyé par le Seigneur. Guidé par l’Esprit, Siméon alla dans le temple. Quand les parents de Jésus amenèrent leur petit enfant afin d’accomplir pour lui ce que demandait la loi, Siméon le prit dans ses bras et remercia Dieu en disant :
« Maintenant, Seigneur, tu as réalisé ta promesse :
tu peux laisser ton serviteur mourir en paix.
Car j’ai vu de mes propres yeux ton salut,
ce salut que tu as préparé devant tous les peuples :
c’est la lumière qui te fera connaître aux nations du monde
et qui sera la gloire d’Israël, ton peuple. »
Méditation
Vous connaissez la formule : « il vaut mieux être jeune, riche et en bonne santé que vieux, pauvre et malade ». Et il est vrai que lorsque les chansonniers, les dramaturges, les poètes, évoquent la vieillesse, la vieillesse ne fait pas toujours envie !
Vous vous souvenez des « Vieux » de Jacques Brel ?
Les vieux ne parlent plus
Ou alors seulement, parfois, du bout des yeux
Les vieux ne rêvent plus
Leurs pianos sont fermés
Les vieux ne bougent plus
Leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre
Puis du lit au fauteuil
Et puis du lit au lit !
Vous vous rappelez de la colère de Don Diègue dans Le Cid :
Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Ce pauvre vieux ne peut plus brandir son épée et il en conclut qu’il n’est plus bon à rien ! C’est affreux !
Et on a beau dire que le nombre de personnes âgées ne cesse d’augmenter dans les pays occidentaux, cela ne nous console pas !
On a beau dire que le gouvernement français a banni des textes administratifs certains termes à cause de leur (je cite) « connotation négative de déclin, de déchéance, d’obsolescence ou d’incapacité » et nous incite à parler de « personnes âgées » plutôt que de « vieux », cela ne sauve rien.
On a beau dire qu’aujourd’hui il y a un « quatrième âge » … donc que lorsqu’on en est au « troisième », on n’est pas tout à fait vieux, cela ne résout rien.
Quand on est vieux, on est vieux. On ne paraît pas moins vieux parce qu’on nous appelle « personne âgée » !
Mais au fond, est-ce la bonne question ? La véritable question n’est pas de savoir si on est vieux ou non (dans les textes administratifs ou dans les libellés des sociologues) … la véri-table de question est de savoir ce que signifie être vieux POUR MOI.
Lorsque je me dis que je suis devenu vieux, je me considère comment ? Comme un mort qui fait la file en attendant son tour ? Ou comme un vivant qui savoure la vie parce qu’il a un peu plus de temps qu’avant ?
Et c’est là que Siméon nous fait un formidable clin d’œil.
Siméon a l’âge de ses artères, c’est incontestable. Mais il n’a pas seulement l’âge de ses artères, il a aussi l’âge de son cœur !
Et ceci pour trois raisons.
1. Il a l’âge de son cœur parce qu’il est capable d’attendre quelque chose non pour lui-même mais pour son peuple ! Il attendait, dans le texte que nous venons de relire « Celui qui devait sauver Israël ».
On aurait tendance à se dire : si Siméon est vieux … qu’est-ce qu’il en a à fiche du « salut d’Israël ». Il ne le connaîtra pas puisqu’il va mourir avant ! Eh bien non.
Siméon n’est pas du genre « après moi, le déluge ».
Siméon se cramponne à la vie jusqu’à ce qu’il ait la certitude qu’un tournant est pris, que les choses vont changer pour son peuple. Qu’un sauveur lui est né.
Qu’est-ce que Siméon mettait exactement derrière ces mots ? Difficile à dire. Et peut-être aurait-il été bien incapable d’écrire un livre de théologie pour conceptuali-ser son espérance. Mais au fond cela n’a pas d’importance.
Il voit bien que quelque chose ne tourne pas rond,
Il voit bien que son pays est occupé par les Romains,
Il voit bien que du Royaume de David, il ne reste que
• de beaux souvenirs,
• de belles histoires à raconter,
mais que les vieux qui les racontent encore ont toujours l’air de radoter.
Il faut quelque chose de neuf, quelque chose de nouveau à ce peuple pour se sortir de la gonfle !
Et c’est cela que Siméon attend. C’est ça qu’il veut voir avant de mourir.
Siméon a l’âge de son cœur parce qu’il ne se dit pas « ce n’est plus mon affaire ».
Et pourtant c’est tentant !
C’est tentant de se dire :
« L’enseignement, ce n’est plus mon affaire, j’ai assez corrigé de copies ! »
« La poste, ce n’est plus mon affaire, j’ai assez pédalé »
« La banque, ce n’est plus mon affaire, j’ai assez compté »
« L’Eglise, ce n’est plus mon affaire, j’ai assez prêché »
Je suis à la retraite, que les autres fassent leur part !!!
Siméon ne se sent pas « retraité ». Au contraire. Il est totalement concerné, y com-pris pour ce qui se passera après sa mort. C’est pour cela qu’il a l’âge de son cœur.
2. Ensuite, Siméon n’est pas vieux dans son cœur parce qu’il a beau avoir espéré tout sa vie – et en vain, d’une certaine manière – il a beau avoir rêvé toute sa vie,
• il ne se décourage pas.
• Il ne désespère pas.
• Il continue.
Or il n’est pas nécessaire d’être particulièrement vieux pour dire – ou pour se dire – « j’y croyais quand j’étais jeune … j’espérais quand j’étais jeune … mais maintenant, c’est fini : je n’y crois plus ».
• Je croyais que l’œcuménisme était à bout touchant … je n’y crois plus
• Je croyais que le Tribunal Pénal International allait décourager les tyrans
• Je croyais que les luttes anti-drogue allaient endiguer le fléau
• Je croyais que l’égalité hommes-femmes était imminente
• Je croyais que la Déclaration de Berne allait faire tache d’huile
• Je croyais que les nouvelles formes pédagogiques allaient diminuer les écarts entre les classes aisées et les classes défavorisées
• Je croyais que l’agriculture biologique allait signer la mort des pesticides …
• Je croyais …
• Je croyais …
Et je n’y crois plus.
Parce qu’avec l’âge, on pense devenir lucide.
Ce qui est une manière polie de dire qu’on devient désespéré.
Qu’on n’a plus le feu sacré
Qu’on n’a plus la niaque.
Siméon n’est rien de tout ça.
Siméon continue à espérer.
Siméon continue y à croire.
Il n’a pas seulement l’âge de ses artères, il a l’âge de son cœur.
3. Enfin, Siméon a l’âge de son cœur parce qu’il est capable d’accueillir ce qui ne correspond absolument pas à ses attentes.
Il attendait « Celui qui devrait sauver Israël ».
Alors à quoi pouvait-il bien ressembler, « Celui qui devrait sauver Israël » ? je ne sais pas vraiment. Mais depuis le temps qu’on en rêvait en Israël, on avait eu le temps de se
faire tout un cinéma.
Le « Sauveur d’Israël », il aurait certainement
l’intelligence de Salomon,
le courage de David,
le leadership de Moïse,
la longévité d’Abraham,
la pugnacité de Gédéon,
l’audace de Jérémie,
le culot de Jonas …
bref quelqu’un de tout à fait exceptionnel ! Et dont la singularité se repère au pre-mier coup d’œil !
Et c’est en regardant un tout petit enfant, un gamin, que Siméon dit « Maintenant j’ai vu ton salut de mes propres yeux ».
Un gamin.
Et un gamin à l’époque de Jésus n’a rien à voir avec ces chères têtes blondes devant lesquelles tout le monde s’extasie aujourd’hui.
A l’époque de Jésus, un gamin, c’est un gamin.
Ça se tait,
ça obéit,
ça fait ses leçons,
ça donne un coup de main au ménage ou aux champs
et ça reste dans son coin.
La porte du Temple pour Siméon c’est un peu comme l’entrée de la caverne pour le prophète Elie au mont Horeb. Dieu lui dit : « je vais passer devant ta caverne » … Elie attend la fanfare … et Dieu paraît dans une petite brise.
La tenue de camouflage.
Et à Noël Dieu n’arrive
ni au Sanhédrin, chez le Grand prêtre
Ni chez le roi Hérode où les Mages se précipitent pour commencer
Il arrive dans le caniveau.
ET malgré tout cela, Siméon le reconnaît
C’est que Siméon ne regarde pas avec les yeux seulement,
Mais comme le dit si bien Saint-Exupéry dans « Le Petit Prince », il regarde avec le cœur
Parce qu’on « ne voit bien qu’avec le cœur ».
Amen.
Texte méditatif – « Valeurs à valoir »
Maintenant, ce n’est plus le travail qui est ma vie.
C’est ma vie qui me fait vivre.
Ce ne sont plus mes titres
Ni mes grades,
Ni ma fonction
Ni mon métier
Qui me disent ce que je vaux.
Ce ne sont plus mes collègues de travail
Ni ma feuille de paie
Qui me disent qui je suis
C’est ma vie qui le dit.
Cette année,
j’ai eu le temps de voir fleurir mes roses
Hier soir, j’ai regardé longuement le ciel
Je ne savais pas qu’il était aussi grand.
Au début, cette liberté me perdait
J’avais trop peur de m’ennuyer
Et je jouais à cache-cache
avec n’importe quoi
Pour tuer le temps
Maintenant, je vis.
J’ai fait des choix.
D’abord, je pensais aux loisirs
C’est toujours cela qu’on veut me vendre.
Maintenant, je laisse les amusettes.
Je n’ai pas besoin qu’on m’occupe
Je suis assez grand pour m’occuper tout seul.
Maintenant, je suis témoin
Personne l’a ne le temps et moi, je suis témoin du temps.
Personne n’a le temps de penser aux autres
Et moi je suis le témoin des autres.
Personne n’a le temps de donner des nouvelles
Et moi je suis témoin des nouvelles.
Personne n’a le temps de prier
Et moi je suis le témoin de la prière.
Personne n’a le temps de voir
Et moi je suis le témoin du regard.
Quand on me demande ce qu’est la retraite
Je dis « c’est une seconde naissance ».