Texte méditatif I
Il était une fois, dans un village, un roi qui était devenu tellement gros que ses jambes ne le portaient plus et qu’il avait besoin de béquilles pour marcher.
Il a expliqué à ses sujets que les béquilles étaient une invention admirable, qui témoignait du savoir-faire technologique de son pays, si bien qu’au bout de quelques années, tous ses sujets avaient acheté des béquilles.
Bien des générations plus tard, le roi étant mort depuis longtemps, les hommes continuaient à marcher avec des béquilles. Ils rendaient même un culte à ces merveilleuses cannes qui leur permettaient de se tenir droit et de marcher debout.
Les adorateurs de la béquille étaient divisés en plusieurs chapelles. Il y avait ceux qui disaient que la béquille devait soutenir les hommes sous les aisselles, ceux qui prétendaient au contraire qu’on pouvait très bien s’appuyer sur les avant-bras. Dans chaque clan, il y avait ceux qui disaient qu’une bonne béquille ne pouvait être qu’en bois, et ceux qui proposaient des béquilles nouvelles, en en plastique, en alu, et sur la béquille, il y avait des disputes, des controverses, des colloques, des études, des recherches, etc., etc.
Un jour est arrivé dans le pays un homme qui marchait sans béquilles et qui racontait à qui voulait l’entendre que tous les hommes pouvaient se tenir droit sans aide extérieure. Quelques hommes – à vrai dire une majorité de femmes – l’ont écouté et ont commencé à laisser tomber leurs béquilles.
Le syndicat des fabricants de béquilles a réagi très vivement et il s’est débrouillé pour faire condamner l’intrus et ses idées subversives. Mais il est plus facile de faire disparaître un homme qu’une idée et les partisans de l’homme debout se sont retrouvé secrètement pour maintenir la mémoire de leur maître et se souvenir des paroles qu’il disait.
Des années et des années plus tard, les partisans de l’homme debout étaient devenus si nombreux que chaque année, par des fêtes, ils rappelaient son arrivée dans le pays, son premier discours, sa mort et la première fois que ses partisans s’étaient retrouvés pour poursuivre son combat.
Quant aux fabricants de béquilles, cela ne les dérangeait pas vraiment car ça faisait bien longtemps que plus personne n’avait essayé de faire tomber les siennes.
Antoine Nouis
Lecture biblique : Psaume 25
Seigneur mon Dieu, je me tourne vers toi.
J’ai confiance en toi : ne me laisse pas couvert de honte !
Que mes ennemis ne se moquent pas de moi !
Pour ceux qui comptent sur toi, pas de honte, mais la honte est pour ceux qui te trahissent.
Qu’ils restent les mains vides !
Seigneur, fais-moi connaître le chemin à suivre, apprends-moi à vivre comme tu veux.
Conduis-moi sur le chemin de ta vérité.
Enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve, et je compte sur toi tous les jours.
Seigneur, souviens-toi de ta tendresse et de ton amour, car ils existent depuis toujours.
Méditation
C’est le début du Psaume 25.
C’est le texte que Bach a choisi pour composer la cantate que vous nous offrez aujourd’hui. ET c’est donc en toute logique le texte à partir duquel je suis invité à proposer une méditation.
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi, quand je lis les psaumes, quand j’essaie de me les approprier, de les « dire » ou de les « prier », j’ai souvent l’impression qu’ils sont trop grands pour moi. L’impression de porter la chemise ou le pantalon d’un frère ou d’un collègue beaucoup plus costaud que moi. Alors bien évidemment, je me perds un peu.
Les mots sont trop forts, les situations trop tragiques, la confiance trop extraordinaire, bref, ce n’est pas ma situation, ce ne sont pas mes mots … qu’est-ce que je peux bien faire avec ces prières-là ?
Et pourtant, ce soir, je vous propose de nous accrocher à ce Psaume, mais en passant peut-être par un autre chemin.
Bien sûr, on pourrait essayer de voir, dans la vie de Bach, si au moment où il compose cette cantate, sa situation est particulièrement douloureuse, si des ennemis nombreux se moquent de lui … Mais en fait, à bien y regarder, ce n’est pas le cas.
En 1707 Bach pose sa candidature pour un poste d’organiste à Mulhausen… il a 22 ans et il est choisi haut la main. Et le 10 juillet, date probable de la création de la cantate, il doit être plutôt heureux puisqu’il est amoureux de Maria-Barbara Bach, fille cadette de feu le très honorable Johann Michael Bach organiste à Gehren. Maria-Barbara fut la première épouse de Bach.
Donc J.-S. Bach vient de remporter un concours musical, il est amoureux … ce n’est pas de ce côté qu’il faut trouver quelqu’un pour « incarner » ce début du Psaume 5.
Je vous propose de chercher ailleurs, du côté de Martin Luther King.
Vous savez bien sûr que cette année marque les 50 ans de la mort de King, raison de l’exposition qui se trouve sur vos têtes. Et si l’on cherche un exemple d’homme qui a été malmené par un certain nombre de ses contemporains, King est certainement un parfait exemple. Il en parle dans une prédication qu’il a prononcée à Chicago, en 1967. Une prédication sur la parabole du riche insensé. Et il dit ceci :
Les vingt-cinq premières années de ma vie ont été très confortables : 25 années de bonheur, pendant lesquelles je n’ai eu aucun souci. J’avais une mère et un père merveilleux, qui avaient les moyens suffisants pour donner tout le nécessaire à leurs enfants. J’ai pu faire mes études, sans être obligé de quitter l’école pour travailler : la vie a été pour moi comme un magnifique cadeau de Noël. J’ai grandi dans une communauté chrétienne.
Mon père est pasteur, mon grand-père était pasteur, mon arrière-grand-père était pasteur, mon frère est pasteur, mon oncle est pasteur – j’imagine que je n’ai pas eu tellement le choix !
J’ai grandi dans l’Eglise, j’avais des convictions. Ce n’était peut-être pas très personnelles. Plutôt une sorte de religion reçue en héritage. Tout allait bien, et si je rencontrais un problème, j’appelais mon papa. Et les choses s’arrangeaient.
Un jour j’ai été appelé à prêcher dans une petite Eglise du Sud, à Montgomery, dans l’Alabama. Et cela a été une expérience merveilleuse.
Or, une année après, une dame – nommée Rosa Park – a refusé de céder sa place dans un bus. Cet événement a marqué le début d’un boycott où l’on a vu 50 000 Noirs, hommes et femmes, refuser catégoriquement de monter dans les bus de la ville.
Pendant 381 jours. Pas un seul Noir n’a pris le bus.
Les premiers jours, tout s’est bien passé, mais deux semaines plus tard, quand les Blancs ont compris que nous étions résolus, ils ont commencé à nous faire des coups tordus. Chaque jour, je recevais des dizaines de coups de fil, menaçant ma vie, celle de ma famille ou de mes enfants.
Et une nuit, je ne l’oublierai jamais, je suis rentré à la maison assez tard, aux environs de minuit, ma femme était déjà couchée, et tout à coup, le téléphone sonne. Je prends l’appareil, et j’entends une horrible voix qui me dit : « Ecoute, sale Nègre, on en a marre de toi et de ton merdier. Si dans trois jours tu n’as pas quitté cette ville, on te fait sauter la cervelle, et ta maison avec ».
J’avais déjà entendu ce genre de propos, une fois ou l’autre, mais je ne sais pourquoi, cette fois-ci ces paroles m’ont touché plus fort que d’habitude.
Je suis allé me coucher, mais je n’arrivais pas à dormir. J’avais véritablement peur. Je me relève, je vais à la cuisine me faire un peu de café et je me mets à réfléchir.
Je pense à notre fille – qui avait à peine un mois à l’époque – et je me dis qu’elle peut m’être enlevée d’un instant à l’autre. Je pense à ma femme aussi, qui dort juste à côté. Elle aussi, elle pouvait m’être enlevée d’un jour à l’autre… Et je me dis: «Tu ne peux pas appeler ton père ce soir ; il est à Atlanta, à 300 kilomètres d’ici. Tu ne peux pas appeler ta mère. Tu ne peux appeler que cette personne dont ton père t’a si souvent parlé. Celui qui peut ouvrir un chemin là où il n’y en a pas. »
Alors j’ai incliné ma tête devant ma tasse de café – ça, je ne l’oublierai jamais ! Et je me suis mis à prier :
Seigneur, me voici.
Je pense que j’ai raison.
Je pense que la cause que nous représentons est juste.
Mais je dois avouer qu’aujourd’hui je suis en train de craquer.
Il faut que tu interviennes,
il faut que me donnes la force de continuer demain matin avec le sourire.
Ça, c’était les mots de King … mais évidemment on pourrait parfaitement les remplacer par les mots du Psaume 5 « Seigneur mon Dieu, je me tourne vers toi. J’ai confiance en toi. Que mes ennemis ne se moquent pas de moi »
A cet instant, poursuit Martin Luther King, j’entends une voix intérieure me dire:
Martin Luther, lève-toi.
Lève-toi pour le droit,
Lève-toi pour la justice,
Lève-toi pour la vérité.
Et je serai avec toi.
Je reviens à ce que je disais au début.
Il y a des mots qui sont très puissants.
Il y a des prières qui sont très fortes.
Et peut-être en est-il des mots et des prières, comme des médicaments. Si chaque fois que vous avez vaguement l’impression que peut-être vous allez avoir mal à la tête …vous prenez un Dafalgan 1000, le jour où vous aurez véritablement mal, vous ne saurez plus quoi prendre.
Mais bien sûr, ce n’est pas parce qu’on ne peut pas prier le Psaume 25 tous les jours qu’on doit s’interdire la prière… Jésus disait : quand tu veux prier, entre dans ta chambre, ferme la porte et là, prie ton père qui est dans le secret. Et nul besoin d’avoir des mots savants et respectueux pour lui parler … tu peux simplement lui dire … papa.
Amen.
Texte méditatif II
Dis-leur
ce que le vent dit aux rochers,
ce que la mer dit aux montagnes.
Dis leur qu’une immense bonté
pénètre l’univers.
Dis leur que Dieu
n’est pas ce qu’ils croient:
qu’il est un vin que l’on boit,
un festin partagé
où chacun donne et reçoit.
Dis leur qu’Il est le joueur de flûte
Dans la lumière de midi;
Il s’approche et s’enfuit
bondissant vers les sources.
Dis leur que sa voix seule
peut t’apprendre ton nom.
Dis leur son visage d’innocence,
son clair obscur et son rire.
Dis leur qu’il est
ton espace et ta nuit,
ta blessure et ta joie.
Mais dis leur aussi
qu’il n’est pas ce que tu dis
et que tu ne sais rien de lui.