Texte méditatif – C.-F. Landry
Noël, c’est gros comme une épingle de lumière
transfigurée.
Comme un œil de lézard contient
Tout le soleil d’une journée.
Les Rois sont venus de loin
Les Bergers de près
C’était la première fois
Qu’un Berger voyait un Roi.
Sont venus pour une Etoile
Qui leur montrait le chemin
Sont venus pour le chœur d’anges
Qui leur chantait la Noël.
L’âne a des yeux de crépuscule
Le bœuf rumine son savoir
L’enfant chante – ça fait des bulles
Il a le front d’un clair miroir.
Notre Père qui êtes ici
Faites que ça soit toujours ainsi
Que Noël soit notre souci
Que Noël soit enfin Noël
Noël dans la piètre écurie
Noël de Joseph et Marie.
Des pauvres ? Oui. Mais en famille
Avec du bon vouloir – Du vrai.
De ce Noël, espoir du monde
Cessez donc d’en faire un bazar
L’intimité n’est pas la rue
Pas plus que le temple aux marchands.
Rois mages qui sentiez l’orange
Bergers qui sentiez le sapin
Enfant-Dieu qui sentait le pain
Vous, bons chiens qui sentiez … le chien
Toutes ces choses sont Noël.
Noël du cœur, Noël humain
Noël qu’on touche de la main.
Secret Noël, feu du foyer
Feu qui répond à tant d’étoiles
Minuscule clin d’œil aux astres …
Savants, ôtez vos fausses barbes
L’homme ne descend plus de l’arbre
Un sauveur, enfin, lui est né
Quelqu’un entend votre prière
Braves gens ! On n’est plus tout seul
Pour aller dormir sous la terre
Mal enroulé dans un linceul.
Note Père qui êtes ici
On vous en donne, du souci !
On voudrait tout sans payer rien
Comme de bons petits païens.
Donnez-nous d’accueillir la peine
Le souci, l’épreuve, la douleur
Sans amertume au fond du cœur.
Mais mon Dieu, plus que tout
Donnez à nos cœurs de pardonner
Et que Noël fasse de nous
De pauvres pâtres à genoux
Devant un enfant de lumière.
Mon Dieu, entendez ces prières
Ainsi soit-il
Méditation : « Jesulein »
Vous avez entendu ce que le chœur a chanté : « Je me réjouis en toi et te souhaite la bienvenue, mon cher petit Jésus (Mein liebes Jesulein). Tu as décidé d’être mon petit frère ». Et tout à l’heure, le Ténor reprendra : « Dans son immense bonté, il est devenu un enfant et s’appelle mon petit Jésus».
Décidément, ce texte sent la guimauve, ce texte fait terriblement sirop. On croirait lire une coproduction entre une fabrique de Massepain de Lübeck et les designers du violoniste André Rieu !!!
Au mieux, ça fait école du dimanche. Avec tout ce que l’enseignement biblique de l’école du dimanche pouvait avoir de réducteur. Et on « réduit » Jésus en « petit Jésus ». Un petit Jésus qui ne ferait pas de mal à une mouche. Un « Jesulein » est totalement inoffensif. A se demander pourquoi diable, ce malheureux Hérode a décidé le massacre des innocents pour un « Jesulein », ça n’a pas de sens !
Une crèche toute proprette
En allant un peu plus loin, c’est toute l’imagerie traditionnelle de la crèche qui apparaît désuète. Regardez tous les tableaux consacrés à la Nativité. Tout est parfaitement propre. La paille est dorée. Elle n’a pas la moindre trace de ces salissures que l’on trouve habituellement dans une étable ou dans une écurie. Les poutres ont la noblesse des anciennes solives patinées par le temps. Les toiles d’araignées sont juste dans l’angle, pour éviter que l’angle ne soit trop dur, le bœuf et l’âne sont brossés de frais comme si on allait les présenter à un concours de bestiaux du Comptoir suisse : bref, tout est léché jusqu’au moindre détail.
Dans la petite étable, il y a une petite mangeoire pour le petit Jésus… C’est mignon, mais cela donne la nausée. Et on en vient à penser que Jean l’Evangéliste ou Marc ont eu bien raison de faire l’impasse sur la naissance et l’enfance de Jésus. Parce qu’on n’en savait peut être rien. Et parce que ce que la tradition orale rapportait n’était peut-être qu’une invention sentimentalo-mielleuse de passionnés du patrimoine et des animaux. Quelque chose entre le musée de Ballenberg et la société protectrice des animaux.
Quelque chose en tout cas, qui n’avait rien à voir, mais alors rien du tout, avec le Jésus des miracles, le Jésus des paraboles, le Jésus qui, contre tous les bienpensants de l’époque, accueillait tous ceux que la société repoussait : le centenier romain, la femme pécheresse, le collabo détestable, les enfants, les démoniaques, les étrangers Bref, le Jésus qui renversait l’ordre habituel du monde, le Jésus qui proposait un monde résolument nouveau, le Jésus qui annonçait un royaume « de Dieu ».
Alors que faire de toutes ces images pieuses ? Poubelle ? Peut-être, mais pas tout de suite.
Avant de jeter le bébé et l’eau du bain, peut-être faudrait-il rappeler que dans l’histoire de la naissance de Jésus, il y a ce que les textes bibliques disent et il y a tout ce que la légende, la tradition populaire, les contes, ont rajouté.
Pour prendre un exemple significatif : vous ne trouverez pas d’âne dans l’étable de la crèche, dans aucun Evangile. Pas de bœuf non plus. Ces animaux qui nous paraissent aujourd’hui indissociables de la crèche traditionnelle – au point qu’ils en sont devenus le symbole – n’apparaissent en fait qu’au 4e siècle.
Mais au-delà de la présence d’un bœuf ou d’un âne, ce que raconte cette imagerie de Noël, à sa manière, c’est le message essentiel du Christ, c’est-à-dire, un renversement copernicien de l’image de Dieu.
Dans le premier Testament – et donc dans le monde juif dans lequel naît Jésus – les noms de Dieu sont significatifs :
Le Tout Puissant, le Très haut, l’Eternel, le Jaloux, le Guérisseur, l’Etendard, le Berger, le Créateur, le Juste. Et il y en a bien d’autres ! On ne rigole pas avec un Dieu jaloux, juste et tout puissant. On a peur. Peur de son jugement, peur de sa sanction, peur d’être pris en flagrant délit de mal faire.
Et ce Dieu là, non seulement est Tout puissant, jaloux, créateur, juste, il est surtout lointain.
Et que vient dire le Christ ? Il vient dire quelque chose d’énorme : quand vous vous adressez à Dieu, vous pouvez lui dire « papa ». Notre Père qui es aux cieux. Et ça évidemment, ça change tout. Si je peux parler à Dieu comme à mon père …Je ne lui parle plus comme à un directeur, un général, un juge !
Et c’est exactement ce que raconte l’histoire de la nativité.
Jésus – le Fils de Dieu – naît dans une mangeoire. Désormais, pour parler à Dieu, Il n’y aura plus besoin de s’énuquer en regardant le firmament, Il suffira de regarder par terre. Et ça, évidemment, ça change tout.
Et du même coup, loin de s’amuser du texte choisi par Jean-Sébastien Bach, on se dit au contraire qu’il a fait tout juste. Qu’il a bien vu. Et que parler de Jésus comme « Jesulein », c’est bien dire que désormais Dieu vient habiter à notre étage, Dieu vient habiter au rez-de-chaussée. Emmanuel, Dieu avec nous.
Amen.
Texte méditatif – Jean Debruynne
Toute ma vie, j’ai prié Dieu
Comme on s’adresse aux capitaines
Toute ma vie, j’ai prié Dieu
Avec le seul droit de me taire
Un Dieu sévère, bien trop curieux.
Mais voici que nous naît un Dieu
Dont le regard est un enfant.
Toute ma vie j’ai prié Dieu
Agenouillé devant les prêtres
Qui me demandaient d’être pieux
D’obéir et d’aimer les maîtres
Et quand les temps nous sont venus
Je n’ai trouvé qu’un enfant, nu.
Toute ma vie, j’ai prié Dieu
Distributeur de la fortune
Banquier de la terre et des cieux
Entrepreneur d’astres et de lune
Petit comptable, avaricieux
De mes péchés et de mes manques.
Et quand les temps nous sont venus
Je n’ai trouvé qu’un enfant nu.
A Noël, Dieu n’entre pas dans le monde
Par la grille du palais
Par l’escalier d’honneur,
Le tapis rouge,
Ou le portail des cathédrales !
Non.
A Noël, Dieu entre par la porte de service
Celle des garçons livreurs
Ou celle des éboueurs
Face à César qui se prend pour Dieu
Dieu, lui se fait enfant.
César ordonne de recenser la terre
De numéroter chaque homme
De les compter comme des objets
Dieu n’envoie ni la police
Ni l’armée
Ni les inspecteurs
Ni les contrôleurs
Dieu n’a pas besoin de faire des comptes
Il ne tient pas de registres
Il n’immatricule pas
Il ne range pas par ordre alphabétique
Il n’attribue pas de numéro
Dieu ne compte pas les hommes
Il compte sur eux.