Méditation
Heureusement que c’est en allemand pour ceux qui ne comprennent pas l’allemand).
Heureusement que c’est écrit petit.
Heureusement qu’il n’y a pas trop de lumière. Heureusement que la musique est sublime et magnifiquement interprétée !
Vous avez vu, vous avez lu les paroles de la cantate ?
Vous avez pris connaissance de ce qui est écrit ?
C’est pour le moins problématique non ?
Cette piété, cette théologie du XVIIIe siècle (qui perdure encore dans certains milieux chrétiens) est déconcertante. Et le mot déconcertant est un euphémisme. Comment affirmer que l’obéissance du Christ à son Père (la citation du psaume 40) consiste à accepter d’aller joyeusement au casse-pipe pour satisfaire son exigence de justice ? Ce qui est inacceptable pour un père humain le serait-il pour un père divin ? La réponse est vite donnée…
Comment accepter cette glorification de la souffrance, « Jésus ta passion est pure joie pour moi ! »
Comment accepter que la foi ne se résume qu’à trouver une place dans le ciel après cette vie-ci ?
Si c’est cela qui apparaît à une lecture au raz du texte, on peut allégrement comprendre qu’il s’éloigne de cette spiritualité et tourne le dos à la foi chrétienne pour d’autres horizons spirituels.
Mais n’est-ce que c’est cela ?
Bien sûr que non ! c’est bien plus profond, bien plus haut, c’est bien autre chose que cette compréhension-là. Elle est possible, mais datée et localisée…
Sans doute parlante à l’époque de Bach, peut être sous d’autres cieux, peut être chez nous jusque dans les années cinquante, mais vraiment difficile à avaler de nos jours pour nous Occidentaux post modernes…
Regardons ça :
« Roi des cieux, sois le bienvenu et c’est le titre de la cantate ». C’est une déclinaison possible du fameux : « Hosannah, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Mots scandés par la foule en liesse acclamant la venue de Jésus à Jérusalem le jour des Rameaux.
Rois des Cieux, auteur des mondes, nous t’accueillons, viens nous libérer…
De même que tu es entré comme roi à Jérusalem le jour des Rameaux, laisse-nous être ta Sion. Entre en nous.
Sois en nous !
Cette invocation, cet appel à la présence divine est le moment de liberté qui ouvre un avenir. On n’y est pas obligés C’est le cri de la foi qui accepte Dieu, qui accepte l’amour infini de Dieu,
Y a-t-il une plus belle manière d’accueillir cette royauté spirituelle, de se laisser habiter par plus grand et plus fort que nous ? La foi est-elle autre chose que se placer, se (re)mettre en Dieu, à mettre en lui sa confiance, de le laisser être et se déployer à l’intérieur de nous…
Mais allons plus loin (progressons)
Après l’invocation, notre cantate cite le psaume 40, 8-9. A l’origine écrit pour l’intronisation d’un roi d’Israël, elles sont mises ici dans la bouche du Christ :
Voici, je viens Avec le rouleau du livre écrit pour moi.
Je veux faire ta volonté, mon Dieu ! Et ta loi est au fond de mon cœur.
Différemment de ce qu’on a pu souvent penser, et enseigner, la totalité de l’œuvre du Christ ne se résume pas au don de sa vie sur la croix. La volonté de son Père, Jésus l’a réalisée tout au long de son ministère : enseignements, miracles, guérisons, faisant de lui aussi un vrai maître de vie, un maître d’une sagesse remarquable qui nous instruit et nous invite nous aussi à réaliser concrètement ce qu’il a fait dans nos vies…
Et c’est le sens du no 4 (l’air de basse), forme d’adoration ou l’on magnifie l’amour du Christ : « Puissant amour, grand fils de Dieu, tu as donné ta vie le salut du monde ». C’est rien moins que le salut du monde qui est visé… et pour lequel nous sommes nous aussi invité à consacrer nos vies… Ce à quoi nous invite l’air de l’alto : mettez-vous sous le sauveur (..) que votre corps, votre vie et vos désirs soient maintenant réorientés.
La suite de la cantate avec le ténor va nous faire entrer dans une forme de prière plus apaisée : « Jésus, dans le bonheur et le malheur laisse-moi voyager avec toi ». La vie vue, reçue comme un voyage, un pèlerinage, mais un pèlerinage avec le Christ. Quelle belle image que celle de la vie comme un pèlerinage, comme un voyage avec ses rencontres, ses surprises, ses joies et ses difficultés ?
Reste encore un élément difficile et pas des moindres :
Jésus ta passion est pure joie pour moi. Tes blessures les épines et la honte sont la pâture de mon cœur
Que dire de cela ? exaltation de la souffrance, dolorisme ? Beaucoup de nos contemporains le pensent et se distancent de la foi chrétienne à cause de cela.
J’y vois pour ma part deux réalités d’un autre ordre : D’abord le fait que dans la foi chrétienne le mal, la déréliction et la mort ne sont pas évacués, mais pris en compte (le bonheur et le malheur, l’amour et le chagrin) Et que dans ces réalités, nous ne sommes pas seuls, le Christ qui a vécu tout cela mystérieusement nous y accompagne… et ceci jusque dans l’éternité…
Est-il besoin de dire que cette dernière pensée n’est pas accessoire dans les temps troublés que nous vivons…
Enfin et c’est sans doute la plus belle partie de la cantate, le dernier chœur : entrons dans la Salem de joie, dans la Jérusalem, dans la Sion mystique en accompagnant le Roi avec cette conclusion très très belle et très forte : il marche devant nous. Il ouvre le chemin…
il marche devant nous. Il ouvre le chemin…