Texte méditatif
Fête de l’Ascension
Temps pour se souvenir qu’un jour
Peu après la fête de la Pâque
Jésus a été enlevé au ciel.
Le ciel. Les cieux.
Image étrange.
Image réconfortante pour petit enfant.
« Où est-elle, maintenant, grand-maman ?
Elle est au ciel ».
Image que nous utilisons cependant couramment lorsque nous disons « Notre Père qui es au cieux »
Qu’est-ce que c’est le ciel, les cieux ?
Un numéro postal pour que la prière arrive à destination ?
Non, bien sûr.
Le ciel, ce n’est pas un endroit.
Ce n’est pas l’espace que parcourent les astres.
Le ciel,
C’est la face cachée de la vie
C’est le mystère des êtres
Le secret des origines et des fins
La vérité et l’amour dans leur éclat absolu
Le sens profond des choses
Tout ce que nous voyons maintenant confusément et qu’un jour nous verrons face à face.
Dire que Jésus a été enlevé au ciel
Ce n’est pas poser une géographie
Avec d’un côté le ciel
De l’autre, la terre :
En bas, les hommes
En haut : Dieu
Dire que Jésus est « au ciel »
C’est dire qu’il est le commencement
Et la fin.
Temps de parole
Jésus quitte ses disciples
50Ensuite Jésus emmène ses disciples près du village de Béthanie. Il lève les mains pour les bénir. 51Pendant qu’il les bénit, il les quitte et monte auprès de Dieu. 52Pendant ce temps, les disciples l’adorent. Ensuite, ils retournent à Jérusalem, très joyeux. 53Ils passent tout leur temps dans le temple et ils chantent la louange de Dieu.
L’imagerie religieuse concernant l’au-delà ne parle plus beaucoup à nos contemporains. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les sociologues. Non pas que nos contemporains ne croient plus en rien (53% des Suisses pensent que la mort est un passage vers une autre vie) mais le grand festin, la Jérusalem céleste, le compagnonnage de l’agneau et du lion, etc. ne sont plus du tout « tendance ».
Alors bien évidemment, dans un tel contexte, que dire de l’Ascension ? N’est-ce pas la quintessence du kitsch artistico-religieux désuet et anachronique ? La véritable image d’Epinal pour nourrir la sensibilité populaire … un peu comme … Guillaume Tell repoussant la barque de Gessler dans les flots agités ?
Qu’est-ce qui est arrivé à Luc pour qu’il se croie obligé de terminer son Evangile avec une image aussi série B américaine ? Un épisode qui a inspiré d’innombrables peintres, qui tous nous présentent Jésus les mains ouvertes, les pieds dans le vide, dans une espèce de lévitation sereine … D’accord : il y a aussi l’Ascension de Salvador Dali où on ne voit que les pieds du Christ. Mais finalement, ça ne change pas grand-chose.
Pourquoi Luc a-t-il eu besoin de cet épisode qui fait terriblement « effet » ? Effet de théâtre … effet de cinéma … et finalement, « mauvais effet ».
Il y a des théologiens qui ont réfléchi à la question, bien sûr. Et qui ont trouvé des réponses pour expliquer ce choix. François Bovon, par exemple, qui écrit que « l’Ascension du Christ n’est pas une légende naïve issue d’un milieu populaire, mais l’élaboration thématique d’un écrivain théologique ». Que pour Luc, c’est très important de faire un lien entre le ministère du Christ et la vie de l’Eglise. Et qu’il a conceptualisé cette étape avec soin pour souligner ce passage : le Ressuscité va retrouver son créateur.
Très bien.
Mais franchement, est-ce que l’Ascension de Jésus nous aide à mieux comprendre notre vie ?
Si vous le voulez bien, j’aimerais vous proposer de méditer ce texte de Luc en remontant, depuis la fin du récit. En allant à l’envers.
Ensuite, ils retournent à Jérusalem, très joyeux. 53Ils passent tout leur temps dans le temple et ils chantent la louange de Dieu.
« Très joyeux ». C’est étonnant, non ? Ils viennent de voir Jésus les quitter pour toujours…. Et ils sont très joyeux.
Le Christ rejoint son Père.
Il se sépare d’eux définitivement.
ET ils sont très joyeux.
Pendant des mois ils ont pu le côtoyer, le voir, le toucher, lui parler. Et brutalement ils se retrouvent tout seuls.
Et ils sont tout joyeux.
Ça du point de vue de la psychologie moderne et des publications récentes sur la question du « deuil » (pas seulement le deuil d’une personne décédée, mais le deuil d’un couple qui divorce, le deuil de plusieurs années de travail dans une entreprise qui se termine par un licenciement, le deuil d’un sport qu’on ne fera plus parce qu’on n’en a plus les moyens physiques, le deuil de ce qu’on ne sera jamais « je ne serai jamais conseiller fédéral, jamais un sportif d’élite, jamais un acteur de cinéma »)… c’est douteux. Tous ces deuils, lit-on dans les ouvrages contemporains, il faut les VIVRE et non pas les gommer immédiatement en se disant qu’il n’y a pas que ça dans la vie et que tout échec ouvre la porte à d’autres possibles …
Donc ces disciples « tout joyeux » immédiatement après la séparation définitive… c’est louche. Ou inquiétant.
Parce que pour eux, ça a dû être difficile de se séparer du maître.
Difficile de rester comme ça cloués au sol, alors que le maître s’envole.
Pour nous aussi, c’est difficile parfois de rester cloués au sol.
Dans la médiocrité, la petitesse, la banalité de notre petite histoire personnelle.
Ou dans le marécage de l’histoire humaine.
• Dur pour des chrétiens de constater que 20 siècles de christianisme n’ont pas été fichus de faire du monde ne serait-ce que l’antichambre du Royaume de Dieu
• Dur pour les humanistes de constater que leur foi en l’homme n’a pas produit les fruits escomptés.
• Dur pour les communistes de mesurer l’abîme entre les espérances suscitées par la révolution et une société où on se demande si quelque chose, véritablement, a changé.
Et les disciples reviennent à Jérusalem « tout joyeux ».
Il n’y a pas de doute : il a dû se passer quelque chose. Oui mais quoi ?
Je vous proposer de continuer à remonter dans notre récit.
50Ensuite Jésus emmène ses disciples près du village de Béthanie. Il lève les mains pour les bénir. 51Pendant qu’il les bénit, il les quitte et monte auprès de Dieu
Ah ! Jésus vient de les bénir.
C’est un mot étrange « bénir ». Ça fait tout de suite très « patois de Canaan ». Mais en fait, c’est très simple. C’est tout simplement dire du bien. Dire quelque chose qui fait du bien.
Donc le départ de Jésus, ce n’est pas un départ du type « je m’en vais et vous vous débrouillez ».
Pas du tout !
C’est un départ du type : maintenant c’est à vous.
Je vous passe le relais.
C’est à vous de continuer.
De poursuivre.
D’être mes témoins.
Et c’est bien ainsi.
Quand on quitte de cette manière, on n’est évidemment plus dans la tragédie.
Et c’est peut-être quelque chose à quoi nous pourrions penser quand nous « quittons ». Pas seulement une personne, mais une responsabilité, une fonction, un emploi.
Ce serait beau, non, de quitter en bénissant ?
Quitter avec une quittance : il n’y a plus de dette.
Plus de contentieux.
Plus de vieille rogne cachée
On quitte léger … ou allégé.
Bon, c’est peut-être très bien pour celui qui quitte.
Mais les autres. Ceux qui se retrouvent seuls avec une responsabilité accrue ?
Ne sont-ils pas « chargés » ?
Remontons encore une marche.
49Et moi, je vais vous envoyer ce que mon Père a promis. »
Ah ! Non seulement il y a une bénédiction, mais il y a une promesse.
La promesse de l’Esprit.
Qu’on appelle aussi, dans l’Evangile de Jean
Le paraclet
Le Consolateur … bon ça aussi ça fait terriblement « patois de Canaan ». Mais il y a un autre mot qu’on utilise aussi et qu’on retrouve dans la première Epitre de Jean un « Avocat ».
Là, on voit tout de suite de quoi il s’agit.
Je suis mal pris.
Et je ne suis pas seul.
Et j’ai quelqu’un qui me défend.
C’est vrai que c’est rassurant.
Alors bien sûr, compte tenu de ces deux éléments, la promesse et la bénédiction, la « joie » des disciples n’est pas un prodigieux déni… C’est tout le contraire : c’est une joie qui se comprend.
L’Ascension, c’est une page qui s’ouvre sur une autre histoire : la leur.
Ce n’est plus Jésus qui écrit l’histoire, mais ce sont les apôtres
Là où le parcours de Jésus se termine… celui des apôtres commence.
Donc au-delà d’un kitsch religieux anachronique dont je parlais tout à l’heure, cette histoire de l’Ascension, c’est peut-être une formidable invitation à la joie.
• Soit parce que comme Martin Luther ou Bach, je suis convaincu que désormais le Christ est auprès du Père et qu’il m’y attend
• Soit parce que ce récit me rappelle que pour quitter « bien » – c’est toujours délicat les séparations, il faudrait peut-être que je pose comme préalable la bénédiction.
Et dans les deux cas de figures, je pourrai m’associer à la joie extraordinaire qui se dégage de cette cantate de Bach.
Nous allons nous quitter … provisoirement… en tout cas pour l’été. Et s’il y avait dans notre regard, au moment de nous séparer, une étincelle de bénédiction ?
Amen
Consentir à l’absence
Comme on se rend à la fête,
Traverser la souffrance
Comme on rejoint qui vous aime.
Contempler l’invisible
Comme on apprend un visage,
Espérer l’impossible
Comme on attend un message.
Écouter le silence
Comme on déchiffre un oracle,
Accueillir l’impuissance
Comme on reçoit un miracle.
Regarder sa faiblesse
Comme on découvre une étoile,
Déployer la tristesse
Comme on envergue une voile.
Présenter ses mains vides
Comme on élève une coupe,
Marcher en terre aride
Comme on approche une source.
CFC (s. Marie Pierre)