L’eau n’est pas ronde
Elle n’est pas carrée
L’eau n’a pas de forme.
Mais quand elle est dans notre verre
L’eau prend la forme de notre verre.
Dieu non plus n’a pas de forme
Mais quand il est dans nos idées,
Il prend la forme de nos idées
Alors on le voit comme un grand-père
Comme un juge dans un tribunal
Comme un chef de guerre,
Comme un joueur de guitare baba cool
Dieu est bonasse
Ou terrible
Selon qu’on l’aimerait bonasse ou terrible.
Mais ces images ressemblent autant à Dieu
Que notre verre d’eau ressemble à l’océan.
Et si au lieu d’enfermer Dieu dans nos idées
Nous nous laissions rencontrer par lui
Au travers des autres
Sous des visages totalement inattendus…
D’après Philippe Zeissig, Minute oecuménique
Méditation
« Qu’ainsi que notre ville et notre pays, remplis de ta gloire, Te célèbrent par des sacrifices et des actions de grâces. Et que le peuple entier dise : Amen » (Cantate BWV 29)
En relisant cette phrase du texte de la cantate de ce jour, je me suis dit : « décidément … tout cela est terriblement marqué. Qu’est-ce qu’on peut bien faire avec un texte aussi anachronique et qui ne correspond à rien de ce qui se vit aujourd’hui ? »
Il suffit de jeter un vague coup d’œil sur la pratique religieuse de nos contemporains.
Quiconque voudra voir de ses propres yeux
La « ville et le pays remplis de la gloire de Dieu
Le célébrer par des sacrifices et des actions de grâce »
A intérêt à mettre sa caméra vidéo sur « pause »
Et à se montrer particulièrement patient !
Non sérieusement !
Comment est-ce qu’on peut dire ça ?
Comment est-ce qu’on peut chanter ça ?
Sauf à ne pas écouter les paroles
Et à se dire que la musique sauve tout !
Aujourd’hui, sur dix vaudois ou vaudoises, combien vont au culte ou à la messe régulièrement ?
Quand on relit ce texte de psaume repris par Bach,
On se sent très vite nostalgique.
Alors on rêve.
On rêve à la bienheureuse époque de Bach
Où « la ville et le pays célébraient la gloire de Dieu ».
Mais au fond… est-on certain que c’était comme ça à l’époque de Bach ? Pas sûr.
Alors on remonte encore dans le temps … et on se dit « Si ce n’était pas réellement comme ça à l’époque de Bach, c’était peut-être comme ça à l’époque du psalmiste ! ».
Mais même à l’époque de David est-ce que « la ville et le pays célébraient leur Dieu par des sacrifices » ? Est-ce que véritablement « tout le peuple » disait Amen ? Pas sûr non plus.
Alors au lieu de nous désespérer totalement, je vous propose de laisser là le « peuple tout entier » et de nous arrêter à un autre texte de l’Evangile, tiré de l’Evangile de Matthieu :
« Vous êtes le sel de la terre « (Matthieu 5)
Jésus n’était ni un nostalgique, ni un rêveur. Dans ses paraboles, dans ses histoires, dans ses rencontres, il ne racontait pas le monde comme il le rêvait, ni comme il « avait été », mais comme il était. Jésus ne disait pas « on va se serrer les coudes et très bientôt on retrouvera l a ferveur d’antan : même les Romains feront partie de notre peuple et offriront des sacrifices à Dieu ».
Jésus disait « vous êtes le sel de la terre ». C’est bizarre comme formule. D’abord parce que ça ne fait pas religieux. Pas la moindre trace de patois de Canaan dans cette déclaration. Ensuite, Jésus n’y apporte pas de complément religieux.
Et Jésus ne dit pas « vous êtes le sel de la terre »
- Si vous allez régulièrement à la synagogue
- Si vous priez trois fois par jour
- Si vous offrez des sacrifices au Temple
- Si vous donnez la dîme de ce que vous gagnez
- Si … si … si …
Non !
Il dit « Vous êtes le sel de la terre ». Un point c’est tout. Une formule complètement « laïque ». Alors essayons de partir de cette formule « laïque » et de voir ce qu’elle peut signifier.
Quatre remarques à propos du sel.
- Le sel n’a de sens – et de réelle efficacité – que lorsqu’il est mélangé à autre chose. Le sel tout seul, ça n’est pas bon. Sauf pour les chèvres. De manière métaphorique, cela signifie que ceux qui sont « le sel de la terre » ne jouent véritablement leur rôle de « sel de la terre » que s’ils se mélangent à d’autres. S’ils vont à la rencontre des autres. S’ils refusent le repli identitaire ou le repli « entre gens de qualité », entre « happy few », pour prendre le risque de la rencontre, jusque et y compris parfois celui du compromis ou de la compromission.
- Dans la cuisine, le sel n’est pas fait pour « dominer » toutes les autres saveurs mais pour rehausser la saveur des aliments. Autrement dit – et toujours métaphoriquement – le sel ne sert qu’à permettre aux autres d’être véritablement ce qu’ils sont en donnant le meilleur d’eux-mêmes. Un peu comme un cadre n’est pas là pour faire oublier le tableau mais au contraire le mettre en valeur.
- Le sel permet de conserver. C’est le bon vieux système de conservation des aliments avant la mise sous vide et la congélation. Aussi bien dans les fermes vaudoises que sur les bateaux bretons : le sel permet de conserver. Cela signifie que dans un monde où tout bouge tellement vite qu’on a parfois l’impression que « tout fout le camp », être le sel du monde, c’est aussi aider ce qui fait sens, ce qui a de la valeur à durer.
- Dans la tradition du désert et de l’hospitalité du désert, lorsqu’un nomade offre à un visiteur du pain, partage son pain avec lui, cela signifie qu’il ne lui fera pas de mal aussi longtemps que le visiteur sera chez lui. Mais lorsqu’un nomade offre du sel à un visiteur, c’est encore plus beau, encore plus radical : cela signifie qu’il ne lui fera JAMAIS de mal. « Jamais un coup de poignard dans le dos, jamais une parole méchante. Jamais une médisance ou une calomnie». En d’autres termes et pour poursuivre notre réflexion sur « vous êtes le sel de la terre », si vous êtes « sel offert », vous devenez synonyme de respect, loyauté, de fidélité POUR TOUJOURS.
Jésus – nous l’avons dit tout à l’heure – ne met aucune condition « religieuse » à son « vous êtes le sel de la terre ». De même, il ne met pas de condition temporelle, du genre : vous deviendrez le sel de la terre, quand pendant toute votre, vie, etc… etc… Il fait une déclaration qui est une déclaration de foi, une déclaration de confiance aux hommes et aux femmes auxquels il s’adresse.
Il y a un côté Barack Obama chez Jésus. Il leur dit : « Yes you can ».
Reprenons le texte de Bach :
Si nous sommes sel de la terre en allant constamment à la rencontre des autres, en les aidant à être eux-mêmes, en leur permettant de conserver les valeurs auxquelles ils tiennent, en étant solidaire et loyal quoi qu’il arrive, on pourrait imaginer alors que « tout le peuple » ait envie de dire « Amen ».
C’est-à-dire non pas « c’est fini » ce qu’on croit toujours puisqu’on le met à la fin des phrases de la liturgie, mais c’est solide. C’est bien. C’est drôlement bien !!!
Amen.
Texte méditatif II
Attendre, ce n’est pas gai.
Et pourtant, bien souvent, nous faisons de notre vie entière une salle d’attente.
Toute la semaine, on attend le week-end.
On roule rapidement parce qu’on a hâte d’arriver.
Et dès qu’on est arrivé, on attend de partir.
Au cinéma, les gens se lèvent avant la fin du film :
On dirait qu’ils ne sont venus que pour attendre de s’en aller.
Quand on nous sert le potage
On attend le dessert.
Si on est de hors, on attend d’entrer
Et dès qu’on est entré, on attend de sortir.
Dans cette impatience à voir venir la suite,
Nous donnons l’impression de penser que la vie
Ce n’est jamais maintenant :
Ça commencera tout à l’heure.
Cet instant n’est rien
C’est l’instant d’après qui sera tout.
Nous ne vivons pas : nous attendons de vivre.
Nous avons rendez-vous avec la vie
Mais toujours demain !
Si on se rappelait parfois que
Chaque minute de notre temps
Chaque minute de notre partition
S’appelle notre vie …
On se dirait
Qu’une vie d’homme
Une vie de femme
C’est fou ce que ça peut être riche !