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Aujourd’hui, Cantate et Parole transgresse ! Parce que ce n’est pas « Cantate et Parole », mais « Passion et Parole ». Ce soir, nous avons le bonheur d’entendre des fragments d’une œuvre immense : la Passion selon St Matthieu, grâce à l’ensemble Fontana Cantabile dirigé par Jean Gautier-Pignonblanc. Une chance pour nous.
Vous savez, quand il a été nommé cantor à Leipzig, Bach s’est engagé : « Pour contribuer au maintien du bon ordre dans ces églises, écrit-il, j’aménagerai la musique de telle sorte qu’elle ne dure pas trop longtemps, qu’elle soit aussi de nature telle qu’elle ne paraisse pas sortir d’un théâtre, mais bien plutôt qu’elle incite les auditeurs à la piété. » Pour notre bonheur, il n’a respecté aucun de ses engagements. La St Matthieu est l’œuvre la plus longue et la plus théâtrale qu’il ait composée. Nous en entendrons aujourd’hui quelques extraits ; de quoi déguster cette merveille.
Place à la musique.
Texte méditatif
Un jour, un empereur romain menace de fermer la synagogue juste avant la fête de Hanoukka, la fête des lumières, si les juifs ne répondent pas à la question suivante : « Si votre Dieu est tout-puissant et invisible, comment peut-il se rendre visible lui-même ? » L’énigme se répand dans le village comme un frisson amené par le vent d’hiver. Lorsque personne ne peut y répondre, on s’adresse au rabbin.
Celui-ci s’isole dans la forêt, pensant que les murmures des arbres l’aideraient à réfléchir. Rien n’y fait. Il sort de la forêt le visage abattu, quand il croise sur sa route un enfant du village qui lui dit : « Pourquoi es-tu triste, Rabbi ? » « Parce que je ne peux répondre à une question importante posée par l’empereur. », répond-il. L’enfant se met alors à rire en disant : « Mais, Rabbi, tu nous l’as enseigné l’autre jour ! Si Dieu veut se rendre visible à lui-même, il lui suffit qu’il nous regarde, car nous avons tous été créés à son image ! » (Gn 1,27).
Le sourire revient sur le visage du Rabbi et cette année-là, la fête des lumières fut la plus belle. Les fioles brillaient et reflétaient les couleurs et les brisures du monde. On chantait et on dansait, « car l’âme de l’être humain est la lampe de Dieu » (Prov 20,27)
d’après Pauline Bebe, « Le coeur au bout des mains ».
Lecture biblique : Jean 14,6-11
Jésus dit : « Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu. » Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit. » Jésus lui dit : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m’as pas reconnu ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu : Montre-nous le Père ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ! Au contraire, c’est le Père qui, demeurant en moi, accomplit ses propres oeuvres. Croyez-moi, je suis dans le Père et le Père est en moi ; et si vous ne croyez pas ma parole, croyez du moins à cause de ces oeuvres.
Méditation
Dieu, une femme ?
Est-ce que Dieu serait une femme ?
Non, attendez. Vous vous demandez, je pense : quel est le rapport avec Jean-Sébastien Bach et la Passion selon St Matthieu ? Il y en a un, on y viendra.
D’abord, la question. Elle trônait sur 24 Heures, il y a trois semaines. L’article présentait des réunions de femmes, à Genève et à Lausanne, où était exploré et célébré le féminin sacré. Ces réunions, écrit la journaliste, répondent au besoin de mettre en valeur le côté féminin de Dieu, trop longtemps occulté par l’image du Dieu père, le Seigneur tout-puissant, le Dieu des armées, qui fait trembler les montagnes et gronder l’orage au-dessus de nos têtes. C’est le Dieu tout Amour, le Dieu Mère et Père, qu’il s’agit de retrouver. Je cite l’article : en cultivant « des qualités dites féminines telles que la compassion, l’intuition, la douceur, le féminin sacré peut renforcer ou produire de nouveaux stéréotypes de genre, sur fond de discours d’émancipation et de transformation intérieure » (24 Heures, 18-19 février 2023, p. 21). C’est donc le Dieu maternel plutôt que paternel qui est cherché. Et sur un grand tableau noir, la question : « Est-ce que Dieu serait une femme ? ».
Je vais peut-être vous décevoir : je ne vais pas répondre à la question par oui ou non. Dieu, un mâle ? Dieu, une femme ? non. Il y a une raison bien précise à cela : le Dieu biblique est au-delà de tout. Et au-delà du genre. Dans le monde des religions, on rencontre la Pachamama, la Déesse-terre des Incas. De la religion baalique, que pratiquaient les Cananéens il y a quatre mille ans, on a retrouvé des statuettes de baals en dieu de la fertilité, pourvus d’un attribut masculin à faire rougir une adolescente. Et je ne parle pas de l’hindouisme, avec sa foule de princes et princesses divinisées. Oui, dans le monde des religions, les représentations genrées de divinités abondent.
Mais le Dieu biblique, le Dieu des juifs et des chrétiens (on pourrait y ajouter l’islam, d’ailleurs), le Dieu biblique échappe aux définitions genrées. Parce qu’il est célébré comme l’origine de la vie. La source de la vie. Elle a quel genre, la vie ? Masculin ? Féminin ? Mais les deux, justement. Le Dieu biblique est au-delà de nos catégories de genre. Il est l’origine d’une humanité qui, elle, se décline en masculin et féminin.
Alors, la question « Dieu serait-il une femme ? » n’a-t-elle pas de sens ? Si. Si quand même. Parce que c’est le langage que nous utilisons pour dire Dieu qui est en cause. Et oui, le langage qui vient immédiatement à l’esprit est plutôt genré masculin : Dieu des armées, Seigneur tout-puissant, Père, Berger, etc. Oui, ce langage fait que lorsque nous pensons Dieu, le plus souvent, ce qui vient à l’esprit est un être masculin issu d’une culture patriarcale. Une masculinité toxique, diraient les féministes que j’ai citées tout à l’heure.
Est-ce le dernier mot ? Justement non. C’est vrai que dans notre imaginaire religieux, penser Dieu fait surgir ce langage hypermasculin. Et c’est vrai aussi que la liturgie dans les cultes nous le ressert à profusion. Mais les Evangiles disent autre chose. Ils disent : si vous voulez vous faire une image de Dieu, regardez le Christ Jésus. C’est lui, l’image. C’est lui qui offre de Dieu le portrait le plus ressemblant. Arrêtez avec vos représentations du Dieu terrible et destructeur. Quand Jésus disait à ses contemporains « Convertissez-vous », ça ne voulait pas dire « Soyez gentils et arrêtez de chaparder dans le champ du voisin ». Non, c’était beaucoup plus sérieux : se convertir, c’est changer votre image de Dieu. Changez votre logiciel religieux, il est démodé. Dans l’Evangile qui a été lu tout à l’heure, Jésus le dit autrement : « Celui qui m’a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu : montre-nous le Père ? ».
Et c’est là qu’on rejoint la Saint-Matthieu. Cette œuvre immense, Bach l’a construite autour d’un fil rouge : le choral « O Haupt voll Blut und Wunden », « Roi couvert de blessures », dont les 5 strophes rythment toute l’œuvre. L’auteur de ce choral, Paul Gerhardt, a composé les paroles sur une mélodie plus ancienne, qui était celle d’une chanson d’amour. Le Réformateur Martin Luther disait : « Il ne faut pas laisser les belles mélodies au diable ! ». Une chanson d’amour, plutôt qu’un hymne guerrier, pour parler de Dieu tel que le fait apparaître Jésus Christ, c’est plutôt sympathique, non ?
Et que dit cette chanson d’amour ? C’est ce que le chœur vient de chanter :
Reconnais-moi, mon gardien,
Mon pasteur, accepte-moi !
De toi, source de toute bonté,
Beaucoup de biens m’ont été donnés.
Ta bouche m’a rafraîchi
Avec du lait et des douceurs.
Ton esprit m’a gratifié
De bien des plaisirs célestes.
Oui, c’est bien de Dieu qu’on parle. C’est le portrait de Dieu tel que Jésus le fait apparaître qui nous est présenté là. La bonté, le rafraîchissement, le lait et les douceurs, les plaisirs célestes… On pourrait aligner les textes bibliques auxquels ces expressions sont empruntées. Mais pourquoi sont-elles laissées le plus souvent dans l’ombre ? Pourquoi notre imaginaire religieux produit-il à jet continu des images hypermasculines ? Les psychologues ont quelques idées là-dessus, et nous renvoient au mythe du Superpapa. Mais justement, l’image des pères est en train de changer à la vitesse grand V. L’occasion est bonne de faire le ménage dans nos images de Dieu.
Ce que je vous propose ? Ecoutez attentivement la Saint Matthieu. Laissez-vous habiter par la douceur du Dieu de Jésus. Oui, ce Dieu est fort, mais sa force réside dans une douceur qui ne cède pas. Oui, il est puissant, mais sa puissance réside dans une capacité illimitée de pardonner. Oui, il est terrible, quand il s’emporte contre les tyrans et les violents, mais c’est pour protéger les humains les plus fragiles. Ce Dieu-là … c’est du masculin-féminin à l’état pur.
Et puis, la bonté, la douceur, le plaisir… ce sont des vertus masculines ou des vertus féminines ? Je vous laisse en débattre à la sortie de Cantate et Parole.
Texte méditatif
Si tu te sens très pauvre
Devant le temps qui vient
Alors tu béniras les marées du silence.
Dans le ciel de ton cœur,
Tu ne souhaiteras rien
Dont tu n’aies reçu le don.
Si tu te sens vulnérable
Incertain de tes jours,
Tu recevras en toi la vie
Comme un cadeau.
Tu feras face à tout
Délivré de tes peurs
Amoureux sans repos
Faisant danser l’étoile
Tout au fond du chaos.
Si tu ne comprends pas
Où va le monde qui vient,
Si tu le trouves gros
De menaces infécondes,
Alors tu seras tendre
Avec chaque bourgeon
Chaque printemps à naître
Chaque vie qui commence
Chaque nuit qui s’achève.
Jean Lavoué, « Ce rien qui nous éclaire »