Texte méditatif
Il y a des vieux textes …
On trouve toutes sortes d’échappatoires
Pour ne pas les reprendre :
Ils sentent le moisi
Ils sentent l’Ancien Testament
Ils ne correspondent pas à notre sensibilité
Le Christ est venu apporter du neuf, etc.
C’est vrai
Les vieux textes traînent avec eux les odeurs âcres
D’hommes épais et lourds
Ne cherchant pas d’excuse à leur péché
Insistant sans honte
Flattant sans pudeur
Pour obtenir l’aide de Dieu.
Nous, les chrétiens raffinés
Nous sommes tellement assurés de notre salut
Que nous oublions le sol
Dans lequel nous sommes enracinés.
Et pourtant
Redire les vieux textes
C’est entrer dans la longue lignée des croyants
C’est prendre place dans la file des pisteurs de Dieu
C’est se rendre solidaire de la race des hommes
Qui ont désiré de toutes leurs forces
Échapper à leur condition.
C’est se reconnaître homme, tout simplement.
Et l’homme est de tous les temps
Puisqu’il vient de Dieu et retourne à lui.
Reprendre les vieux textes,
C’est recevoir un dépôt et le transmettre
Pour que d’autres puissent en vivre
Et se rappeler d’où ils viennent.
Texte biblique
Matthieu Chapitre 25
L’histoire des dix jeunes filles
1« Alors le Royaume des cieux ressemblera à ceci : Dix jeunes filles prennent leurs lampes et elles sortent pour aller à la rencontre du marié. 2Cinq d’entre elles sont imprudentes et cinq d’entre elles sont sages. 3Les jeunes filles imprudentes prennent leurs lampes, mais elles n’emportent pas de réserve d’huile. 4Les jeunes filles sages prennent leurs lampes et elles emportent de l’huile dans des récipients. 5Le marié ne vient pas tout de suite. Toutes les jeunes filles ont sommeil et elles s’endorment.
6« Au milieu de la nuit, on entend un cri : “Voici le marié ! Sortez pour aller à sa rencontre ! ” 7Alors toutes les jeunes filles se réveillent et elles préparent leurs lampes. 8Les imprudentes disent aux sages : “Nos lampes s’éteignent. Donnez-nous un peu de votre huile.” 9Mais les sages leur répondent : “Non ! Il n’y en a pas assez pour nous et pour vous. Allez plutôt chez les commerçants et achetez de l’huile pour vous.” 10Les imprudentes vont donc acheter de l’huile, mais pendant ce temps, le marié arrive. Les jeunes filles qui sont prêtes entrent avec lui dans la salle du mariage, et on ferme la porte. 11Plus tard, les autres jeunes filles arrivent et elles disent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous la porte ! ” 12Mais le marié répond : “Je vous le dis, c’est la vérité : je ne vous connais pas.” » 13Et Jésus ajoute : « Restez donc éveillés, parce que vous ne connaissez ni le jour ni l’heure. »
Méditation
On dit généralement de cette cantate que c’est une œuvre de maturité, une œuvre d’une exceptionnelle maturité, et une œuvre qui ne fait appel à aucune musique composée préalablement.
Ce qui n’est pas le cas pour le texte.
Vous avez reconnu bien sûr la parabole des dix jeunes filles de Matthieu 25 que nous avons relu tout à l’heure mais il y a un deuxième texte qui me semble être tissé dans le premier pour donner le texte de notre cantate, c’est un extrait du Cantique des Cantiques.
8J’entends celui que j’aime. Le voici : il vient.
Il bondit sur les montagnes,
il saute sur les collines.
9Celui que j’aime ressemble à une gazelle
ou au petit de la biche.
Le voici : il s’arrête derrière le mur
de notre maison.
Il regarde par la fenêtre,
il guette à travers le grillage.
10Il me dit :
« Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens !
11La mauvaise saison est finie,
la pluie ne tombe plus, elle s’en est allée.
12Sur la terre, les fleurs paraissent,
c’est le temps des chansons.
Dans les champs,
voici la voix de la tourterelle.
13Les figues vertes mûrissent déjà,
les vignes en fleur répandent leur parfum.
Lève-toi, mon amie, ma belle,
et viens !»
C’est un texte que vous avez certainement souvent entendu dans des mariages.
Et il est curieux de noter à ce propos que ce sont soit les couples très éloignés de la foi qui choisissent un tel texte, soit au contraire des couples qui connaissent très bien la Bible.
Les premiers sont contents de trouver dans ce texte un joli poème d’amour qui ne parle pas de Dieu. Et les autres, au contraire, sont ravis de trouver là une façon de dire l’amour de Dieu qu’ils ont senti dans leur prière et leur vie.
Voilà un étrange paradoxe.
En réalité, ce paradoxe dure depuis des siècles.
Pour certains théologiens, le Cantique des Cantiques n’a rien à faire dans la Bible, – Comment un livre qui chante et célèbre l’amour humain, avec des accents érotiques parfaitement clairs et qui ne fait aucune référence à Dieu ou à un quelconque concept religieux…. trouverait-il sa place dans la bible ?
Pour d’autres, au contraire, il est central. Origène ou Bernard de Clairvaux, pour ne citer qu’eux en ont écrit des pages et des pages.
Historiquement, Le Cantique des cantiques a été, durant toute l’Antiquité chrétienne, le livre de l’Ancien Testament le plus lu après le Psautier. Il a suscité une quantité impressionnante de commentaires et d’interprétations, notamment chez les Pères de l’Église.
Cela dit, soyons clairs : si le Cantique des Cantiques a passé la rampe du « canon » des textes bibliques et si vous pouvez le lire dans votre bible aujour’dhui, ce n’est évidemment pas en en faisant une lecture au 1er degré… mais une lecture mystique.
La Synagogue d’abord, l’Église chrétienne ensuite ont considéré le « Cantique des cantiques », comme le plus excellent de tous les psaumes, car chantant le plus essentiel des messages : Dieu est amoureux de nous
Dieu est amoureux de nous et il l’est d’un amour fou.
Comme Roméo pour la Juliette que nous sommes,
Il a un amour qui pardonne tout, qui espère tout, qui supporte tout.
Lorsque j’étais étudiant à la faculté de théologie de Lausanne, j’ai appris l’hébreu avec le professeur Keller. Et après Genèse chapitre 12, il nous a fait lire des extraits du Cantique des Cantiques. Et c’est là que pour la première fois, j’ai découvert ce que pouvait être une lecture « mystique » du Cantique. Et c’est là que j’ai découvert que lorsque le jeune homme dit à la jeune fille :
« Tu as l’allure d’un dattier et tes seins en sont les fruits… je monterai au dattier et j’en cueillerai les fruits », ça ne voulait pas nécessairement dire ce que je pensais que ça voulait dire.
Et moi, à cette époque, la lecture mystique du Cantique, pardonnez-moi cette formule un peu grivoise, « ça me gonflait »
Quelques années plus tard, j’ai rencontré un moine cistercien, avec lequel j’ai un peu sympathisé et à la question que je lui posais un jour « Quel est le livre de la Bible que vous trouvez le plus nourrissant, stimulant, interpellant », il m’a répondu du tac au tac « le Cantique des Cantiques, sans hésiter ». Je me suis dit : « Bon … c’est un moine …il a une vie tout de même très austère… il doit compenser par la lecture ». Et la lecture mystique du Cantique des Cantiques était encore une fois classée.
Et puis bien des années plus tard, j’ai rencontré un autre moine qui m’a aussi parlé du « Cantique des Cantiques » comme de son livre préféré… mais qui m’a donné une explication de cette appréciation. Des explications que j’ai trouvées très éclairantes.
Il me disait par exemple qu’il se réjouissait toujours de la messe du lendemain. Et qu’il lui arrivait parfois d’être impatient d’y être. Et que dès qu’il avait un moment où il n’avait pas besoin de parler – ce qui était parfois rares parce qu’il s’occupait de l’accueil des retraitants et des visiteurs – il se précipitait dans le silence pour retrouver Dieu…
Et il concluait en disant : « comprends-moi bien : je ne fais pas d’effort pour retrouver Dieu, pour retrouver la prière, pour retrouver le silence. Je suis passionné par Dieu, le silence, la prière … c’est un cadeau que j’ai reçu, c’est tout ! »
Et j’ai trouvé que cette explication était très éclairante parce que non seulement elle rendait sa lecture du Cantique parfaitement logique (si je suis amoureux … j’attends ma belle avec impatience et je guette le moindre bruit, la moindre sonnerie de téléphone qui me prévient de son arrivée …. Et si je suis amoureux de Dieu je peux lire le Cantique des Cantiques comme une allégorie de ma relation à Dieu)
Mais en plus – et c’est ça la découverte essentielle – cette manière de concevoir le rapport à Dieu est totalement déculpabilisante.
- Si vous n’aimez pas passionnément les Rolling Stones, vous ne vous sentez pas coupables !
- Si vous n’aimez pas passionnément la poésie, vous ne vous sentez pas coupables !
- Si vous n’aimez pas passionnément les chorégraphies de Maurice Béjart, vous ne vous sentez pas coupables !
Donc dans mon côté « amoureux » de Dieu, il y a quelque chose de donné. De même que ce n’est pas parce que vous avez fait des efforts, que vous vous en êtes passé tous les jours d’abord une minute, puis deux, puis dix … qu’un jour vous êtes devenu des passionnés de la musique de Bach !
Un jour vous avez découvert ce compositeur
Un jour vous avez découvert ses cantates
Et vous vous êtes dit que c’était une musique extraordinaire et que vous aviez envie d’en entendre davantage …
Et voilà.
Je vois déjà ce que vous pourriez objecter.
Vous pourriez dire : c’est un peu facile de dire « Ou bien j’ai reçu quelque chose et je suis devenu chrétien ; ou bien je ne l’ai jamais reçu et qu’est-ce que vous voulez … c’est comme ça. Il y a aussi un élément de volonté dans la recherche de Dieu, non ? »
Bien sûr, il y a un élément de volonté.
Mais je crois profondément qu’il est second.
C’est parce que j’ai déjà vécu quelque chose,
Senti quelque chose
Que je veux aller plus loin.
Que je veux en savoir plus.
Et puis je crois surtout qu’il est second parce que la question qui m’est posée
Quand je me suis découvert ce petit bout
ce tout petit bout peut-être de passion pour Dieu,
C’est : qu’est-ce que j’en fais ?
Je la garde secrètement pour moi ou j’en parle ?
Je le laisse transparaître sur mon visage ou je me compose un visage d’indifférence ?
Et il suffit de relire le Cantique des Cantiques
Ou le livret de cette cantate 140
Pour voir que la réponse de Salomon (si l’on considère que c’est Salomon qui a écrit le Cantique)
Ou la réponse de Jean-Sébastien Bach
Sont des EXPRESSIONS !
Leur passion est partagée
Exprimée
Chantée
Mise en musique et de belle manière !
On n’allume pas une lampe pour la mettre sous un seau, dit l’Evangile de Matthieu !
Amen.
Texte méditatif
On raconte que
Dans chaque maison de croyants orthodoxes
Quelque part, dans un coin
Placée de telle façon
Qu’elle attire le regard
Il y a une icône.
Passage secret,
Qu’il suffit de pousser
Ouverture étrange
Qu’il suffit de franchir
Pour se retrouver
Dans le mystérieux domaine de Dieu
Dans le lieu du quotidien
La prière est la percée vers Dieu
L’irruption du sacré
En plein cœur du banal
Le lieu de communication
Le soupirail
Par lequel l’homme et Dieu
Se regardent et se parlent.
Prier, c’est arrêter le temps
Et traverser l’écran
Découvrir la face cachée
Des êtres et des choses
Prier c’est pousser la porte
Et se retrouver au confluent
Des univers
Près de Dieu et près des hommes
Prier, c’est s’arracher au temps
Se couler dans l’éternité
Et revenir irradié
C’est percer la réalité
De multiples ouvertures
Où s’engouffrera la lumière
De l’Autre
C’est ouvrir un passage
Comme on ouvre une écluse
Prier, c’est communiquer.