Cantate de Jean-Sébastien Bach, BWV 78
« Jesu, der du meine Seele»

Chœur de May
Direction : Michel Corboz

Sylvie Wermeille, soprano ; Jacky Cahen, alto
Tristan Blanchet, ténor ; Fabrice Hayoz, basse

Orgue : Denis Fedorov

Ensemble instrumental :
Laurence Verant et Yevgeniya Suminova, violon; Evgeny Franchuk, alto; Jordan Gregoris, violoncelle; Shagan Grolier, contrebasse; Coline Richard, flûte; Clothilde Ramond et Gaetan Beauchet, hautbois

Méditation : Jean Chollet

Texte méditatif

C’est l’histoire d’un sportif
Qui fait régulièrement du footing au bord de la mer
En haut d’une falaise.
Et ce jour-là, il est particulièrement en forme,
Le ciel est parfaitement clair,
Il fait beau,
Il se sent bien
Tellement bien qu’une seconde d’inattention et hop
Le voilà qui met son pied un peu trop au bord de la falaise
Et tombe dans le vide.

Heureusement pour lui,
Quelques mètres plus bas, il y a une vigoureuse branche d’arbre
Qui sort comme par miracle du rocher
Et le retient.
Notre sportif se retrouve ainsi
Suspendu au-dessus du vide
Avec la mer qui gronde au-dessous
Et les mouettes qui tournoient à quelque distance de lui.

Il se cramponne vigoureusement,
Il reprend ses esprits
Et il se met à crier.
–    Oh ! Y a quelqu’un ?
Silence. Il crie alors plus fort
–    Oh ! Ya quelqu’un
Alors une voix puissante lui répond.
–    Je suis là.
–    Qui es-tu, dit le sportif ?
–    Je suis Dieu !
–    Dieu ? Alors Dieu, je sais bien que je ne suis pas un modèle de foi, je ne vais pas régulièrement au culte, je prie rarement, mais est-ce que malgré tout cela, tu pourrais me tirer de là ?
–    Bien sûr, dit Dieu. Fais-moi confiance : lâche la branche à laquelle tu te cramponnes et moi j’envoie deux anges pour te récupérer.
Long silence.
Le sportif ne dit plus rien … Dieu non plus.
Et tout à coup on entend le sportif qui dit :
–    Y a quelqu’un d’autre ?

Lecture biblique : Evangile de Marc, chapitre 9, versets 16-27

Jésus demande à ses disciples :
–    De quoi est-ce que vous discutez avec eux ?
Quelqu’un dans la foule lui répond :
–    Maître, je t’ai amené mon fils. Il a en lui un esprit mauvais qui l’empêche de parler. Cet esprit peut le prendre n’importe où. Alors il le jette par terre, l’enfant a de la salive qui sort de sa bouche, il grince des dents, et son corps devient raide. J’ai demandé à tes disciples de chasser cet esprit mauvais, mais ils n’ont pas eu la force de le faire.
Jésus leur dit :
–    Vous, les gens d’aujourd’hui, vous n’avez pas la foi ! Je vais rester avec vous combien de temps encore ? Je vais vous supporter combien de temps encore ? Amenez-moi l’enfant !
On lui amène l’enfant. Quand l’esprit mauvais voit Jésus, aussitôt il secoue l’enfant avec force. Celui-ci tombe, il se roule par terre, et de la salive sort de sa bouche. Jésus demande au père :
–    Cela lui arrive depuis quand ?
Le père répond :
–    Depuis qu’il est petit. L’esprit l’a souvent poussé dans le feu et dans l’eau, pour le faire mourir. Mais si tu peux faire quelque chose, aie pitié de nous et aide-nous !
Jésus lui répond :
–    Pourquoi est-ce que tu dis : “Si tu peux faire quelque chose…” ? Tout est possible pour celui qui croit ! »
Aussitôt le père de l’enfant se met à crier :
–    Je crois ! Mais aide-moi, parce que j’ai de la peine à croire!
Jésus voit qu’une foule nombreuse se rassemble. Alors il menace l’esprit mauvais en lui disant :
–    Esprit qui empêches de parler et d’entendre, sors de cet enfant et ne rentre plus jamais en lui ! C’est un ordre !
L’esprit pousse des cris, il secoue l’enfant avec force et il sort. L’enfant a l’air d’être mort, et beaucoup de gens disent : « Il est mort. » Mais Jésus le prend par la main, il l’aide à se lever, et l’enfant se met debout.

Méditation

On a souvent dit que Jean-Sébastien Bach avait une telle foi, qu’il pouvait être considéré comme le 5e Evangéliste.
Et à entendre une cantate comme celle d’aujourd’hui, on se dit que c’est évident.
Quelle passion, quel enthousiasme, quelle beauté, quelle grâce, dans ce duo que nous venons d’entendre.

Nous accourons vers toi, ô Jésus, ô maître, pour recevoir ton aide. Entends comme nos voix s’élèvent pour demander ton secours !

Il n’y a pas à discuter. Ce texte comme cette musique sont les témoins de la foi chrétienne extrêmement solide du compositeur.

Mais au fond, quand on dit « la foi », on dit quoi ? Quand on dit « j’ai la foi », ou « avez-vous la foi », on dit quoi ? Qu’est-ce que c’est, cette foi qui met en mouvement de cette manière-là ? Qu’est-ce que c’est, cette foi qui déplace de cette façon-là ? Qu’est-ce que c’est, cette foi qui permet de lire le monde et la vie comme ça ?

Bach était protestant, j’ai donc repris le Petit Catéchisme de Heidelberg. Vous savez, ce petit catéchisme en 129 questions – et donc 129 réponse, qui a été tellement utilisé dans les Eglises protestantes jusqu’à la fin du 19e siècle tout au moins.

Question : Qu’est-ce qu’une véritable foi?
Réponse : La véritable foi est non seulement une connaissance certaine, et une pleine persuasion de la vérité de tout ce que Dieu nous a révélé dans sa parole; mais aussi une ferme confiance que Dieu accorde le pardon des péchés, la justice et la vie éternelle, et cela de pure grâce, par un effet de sa miséricorde.

Quand on lit un texte pareil …D’abord on le relit une deuxième fois parce qu’on n’a pas tout compris. Ensuite, on se dit que la foi, c’est pour les autres. C’est trop difficile, trop exigeant,
trop inatteignable !

Si être sportif, c’est courir le 100 mètres en moins de 10 secondes ou le Sierre-Zinal en moins de 2 heures 30, je ne serai jamais sportif ! Si être poète, c’est avoir publié au moins deux volumes à la Pléiade, je ne serai jamais poète. Si être écolo et respecter la nature, c’est renoncer à ma voiture, à mon chauffage, à prendre l’avion,  à mon ordinateur et à je ne sais pas quoi encore, je ne serai jamais écolo. Si la foi c’est adhérer à ce que déclare le catéchisme de Heidelberg, je ne serai jamais chrétien.

Et il n’y a pas que dans le Catéchisme de Heidelberg que la foi est présentée de cette manière.  Prenez l’un des « hits » de nos Psautiers protestants, par exemple :

La foi renverse devant nous les plus fortes murailles
La foi triomphe des verrous et gagne les batailles
La foi ouvre des trésors de grâce et de puissance
Et le plus faible devient fort sous sa sainte influence.

Si nous écoutions ce que nous chantons, nous nous dirions probablement plus souvent qu’à notre tour : « La foi c’est un sommet inatteignable ».

Heureusement, avec les Evangiles – et notamment le texte de Marc que nous avons relu tout à l’heure, il y a des récits de rattrapage.

Dans ce passage en effet, il y a deux approches de la foi diamétralement opposées et ce n’est pas la foi la plus musclée, la plus engagée qui est suivie des meilleurs effets.

1.    D’abord, la foi des disciples
2.    Ensuite, la foi du père de l’enfant malade.

La foi des disciples.

La foi des disciples, on ne sait pas précisément ce qu’elle était. Mais pour prendre un exemple, lorsque Jésus demande à ses disciples qui il est aux yeux des hommes, les disciples lui répondent :
–    Pour les uns, tu es Jean-Baptiste, pour les autres un prophète
–    Et pour vous, dit Jésus
–    Toi, tu es le Messie, dit Pierre.

Pour eux, c’est donc clair, ils cheminent avec le Messie.
C’est pour cela qu’ils ont tout quitté : pour cheminer avec le Messie.
Et ce cheminement, cette proximité – pensent-ils – va leur donner sinon un véritable pouvoir, en tous les cas certaines compétences. Aussi quand le père de l’enfant – qui a peut-être de la peine à atteindre Jésus dans la foule –  leur demande de le guérir, ils essaient. Un peu comme des assistants essaient de réaliser le travail du maître pour alléger son agenda.
Et ils n’y arrivent pas. Ils ont dû se dire : pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui nous a manqué ? Qu’est-ce qu’on a fait faux ? Et cette question est parfaitement légitime.

D’autant plus légitime que nous en faisons constamment l’expérience : ce qui a de la valeur à nos yeux,  c’est ce qui réussit, ce qui aboutit à un résultat, ce qui débouche sur quelque chose.

Et pour la foi, c’est la même chose. Si elle n’aboutit à rien, elle ne sert à rien. Tout au plus à appliquer un petit verni de piété sur nos engagements dans le monde …

La question des disciples est donc légitime.
Mais en même temps ce n’est pas la bonne question

Parce que la foi, ce n’est pas un mouvement qui rend les hommes aptes à quelque chose. Capables de quelque chose. Au sens d’une mise en possession de nouveaux moyens qui leur permettraient de se réaliser et  d’exister dans le monde. La foi c’est un mouvement qui consiste à laisser Dieu agir.

Et c’est ce qu’on découvre dans la 2e partie de notre récit.

L’expérience du père : faire confiance et laisser agir

Ce père vit avec son fils, malade depuis un certain temps probablement …Il a probablement pris rendez-vous avec d’autres thérapeutes …Il a essayé tous les rebouteux, les charlatans, les médecins, les magiciens qu’on lui a recommandé. Rien n’a marché. Maintenant, il essaie avec Jésus. Jésus est souvent entouré de plein de monde …Les disciples sont peut-être plus abordables que lui, le père se décide donc à demander aux disciples de guérir son fils. Et les disciples échouent.

Cela doit mettre un sérieux bémol dans la conviction du père. Peut-être se dit-il qu’avec ce Jésus non plus, ça ne va pas marcher. Son fils ne va pas guérir. Il arrive dont à Jésus avec une confiance, disons, modérée. Avec une foi, bien sûr, parce qu’il y croit encore. Mais avec un doute aussi.

Et dans sa manière d’aborder Jésus, il est touchant de simplicité.
Il ne joue absolument pas le « j’ai confiance en toi. Je crois que tu vas guérir mon fils. Je suis sûr que tu es le Messie et que rien ne t’est impossible ».

Pas du tout. Il dit : « Si tu peux faire quelque chose, aide-nous ».
Et Jésus le reprend :
–    Pourquoi est-ce que tu dis : “Si tu peux faire quelque chose…” ? Tout est possible pour celui qui croit ! »
Et le père de dire alors
–    Je crois ! Mais aide-moi, parce que j’ai de la peine à croire!

Il n’y a pas déclaration plus humaine, plus honnête que celle-ci.
 « Je crois … mais j’ai de la peine à croire ». Parce que la foi c’est difficile. Parce que le doute fait toujours partie de la foi.

–    Je crois, mais aide-moi parce que j’ai de la peine à croire

ET malgré cette foi pleine de toute, cette foi d’amateur, cette foi de bricoleur, Jésus va guérir l’enfant.

Croire et douter

J’aimerais terminer en vous lisant quelques lignes du dernier livre d’Eric-Emmanuel Schmitt « La Nuit de Feu » 

Si on me demande « Dieu existe-t-il ? » Je réponds « Je ne sais pas », car philosophiquement, je demeure agnostique, unique parti tenable avec la seule raison. Cependant j’ajoute « je crois que oui ».  La croyance se distingue radicalement de la science. Je ne les confondrai pas. Ce que je sais n’est pas ce que je crois. Et ce que je crois ne deviendra jamais ce que je sais.
Face au questionnement sur l’existence de Dieu, se présentent trois types d’individus honnêtes. Le croyant qui dit « Je ne sais pas mais je crois que oui », l’athée qui dit : « Je ne sais pas mais je crois que non », l’indifférent qui dit : « Je ne sais pas et je m’en moque ».
L’escroquerie commence chez celui qui clame « Je sais ».

Amen

Texte méditatif

Avoir la foi
Etre chrétien
Ce n’est pas être arrivé
C’est prendre le départ.
Ce n’est pas se mettre à l’abri
C’est oser partir
Ce n’est pas s’installer dans un système
C’est se mettre en marche.
Ce n’est pas prendre une assurance
C’est prendre des risques.

La foi est un voyage.
Avoir la foi n’est ni un grade
Ni une carrière
Ni une promotion.
La foi ne fait pas des chefs
Mais des nomades.
Le chrétien habite en chemin
C’est un vagabond.
Sa seule demeure, c’est la route.
Le chrétien vit
Dans la poussière des pistes
Les pieds dans la boue
Et la tête dans les étoiles
La foi est le livre Dans lequel le chrétien
Apprend à lire Dieu.

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