Texte méditatif d’entrée
L’Emmanuel, le Dieu avec nous, révélé,
devenu l’un de nous, incarné, petit d’homme,
reconnu par les pauvres, les petits, marginaux,
reconnu par les mages, étrangers éveillés…
Ne sommes-nous pas poussés à nous joindre à eux
pour l’accueillir, vivant, sur notre paille à nous,
dans nos obscurités, nos questions et nos creux,
pour redonner courage, envie, élan, couleur
à nos vies essoufflées, à nos coeurs fatigués.
Noël est un rappel non seulement d’autrefois,
mais un chemin ouvert, pour vivre l’aujourd’hui,
et quitter l’illusion d’un horizon fermé…
la mémoire ravivée, le courage rafraîchi,
nous marchons en nuit claire… mais pointe devant nous
déjà, mais oui déjà, la colline de la croix…
l’odeur de la paille cède la place au bois…
la vie, la mort, la nuit, le jour, s’entremêlent
pour nous faire accepter le début et la fin
de toute vie sur terre, pour nous apprendre aussi
qu’on ne peut avancer sans quitter quelque chose,
que la mort nécessaire ne nous prive pas de Dieu
Lecture biblique Psaume 42
Comme une biche se penche sur l’eau des ruisseaux et crie, ainsi mon être se penche vers toi,
ma source, mon Dieu, et crie…
Tout mon être a soif de Dieu, du Dieu vivant : quand pourrai-je accéder et être vu face à
Dieu ?
Mes larmes sont jour et nuit mon pain quand on me dit constamment : il est où ton Dieu ?
Je me laisse aller à évoquer le temps joyeux où je déambulais jusqu’à la maison de Dieu parmi
les cris de joie de la multitude en fête…
Pourquoi te ratatiner, ô mon être, et gémir sur toi ? continue d’espérer ! …
Oui, c’est certain : je le louerai encore, ce vis à vis qui sauve !
C’est vrai, mon Dieu, tout mon être s’est replié sur lui-même, s’est rabougri ; voilà pourquoi je
veux me souvenir de toi… En effet, toutes vagues ont passé sur moi quand l’abîme appelait
l’abîme…
Mais le jour, tu exerçais ta fidélité et la nuit je te chantais, Dieu qui est ma vie !
Je veux donc dire à Dieu, mon rocher : pourquoi m’oublies-tu ? pourquoi dois-je marcher
tristement, sous la pression de l’ennemi ? Mes membres, mes os, sont meurtris, mes
adversaires m’insultent en me disant constamment : il est où ton Dieu ?
Pourquoi te ratatiner, ô mon être et gémir sur toi ? Continue d’espérer !…
Oui, c’est certain, je le louerai encore, Lui, ce vis à vis qui sauve !
Temps de parole
Le 6 janvier 1725, fête de l’Epiphanie, les croyants de St-Thomas de Leipzig purent entendre
pour la 1ère fois cette nouvelle cantate « Bien-aimé Emmanuel, prince de ceux qui vivent dans
la confiance ». Comme nous ce soir, à 4 jours près et 285 ans plus tard !
Et qu’est-ce qu’elle dit cette cantate de l’Epiphanie : viens bientôt !… Au moment où, selon la
tradition de l’évangile de Matthieu, Dieu se manifeste aux mages d’Orient, et, selon Luc, après
que les bergers eurent entendu les anges et vu l’enfant nouveau-né, Bach bâtit sa cantate sur
cet appel, cette prière : Viens bientôt !… Ce sont aussi, vous le savez, les derniers mots du
dernier livre de la Bible, le livre de la Révélation – c’est le sens étymologique du mot
« apocalypse » : Viens bientôt !…
Pour Bach, il ne suffit pas qu’il soit venu comme on vient de le rappeler à Noël, il faut encore
et encore qu’il vienne ! Comme si l’on n’en avait jamais fini d’attendre ! Il est venu et il vient !
« Il est venu demain ! » répondait un rabbin à ceux qui le questionnaient sur l’avènement du
Messie… Comme s’il n’en finissait pas de venir… Et cela m’a rappelé cette nouvelle du grand
Charles Morgan décrivant la longue attente d’un voyageur aux portes de la ville et qui, le soir
tombant, voit venir enfin le gardien… mais c’est pour fermer la porte pour la nuit. Devant
l’étonnement déçu du voyageur, le garde lui dit : mais… la porte était ouverte… il suffisait de la
pousser !
Et je me suis dit qu’il y avait vraiment attente et attente : l’attente du désabusé qui, au fond,
n’attend pas vraiment ; l’attente du déçu qui ne sait pas s’il peut faire confiance ; l’attente de
l’affamé qui est tenaillé par le manque de tout et qui pourrait déboucher sur de la violence ; à
l’opposé, l’attente de celui qui a tout et au-delà… et là le ressort est bien détendu.
Et puis l’attente profonde, celle qui nous habite aussi parfois, de ce qui pourrait apaiser notre
anxiété, notre angoisse face à une existence peut-être trop facile ; une attente qui ne doit
alors pas nécessairement être comblée ; l’attente de la foi lorsqu’elle n’est pas vécue comme
un placebo mais qui est affaire d’attitude lucide face à soi-même, face à la vie, face à Dieu…
qui attend lui aussi que nous poussions la porte…
Oui, toute vie, toute existence se déroule désormais sous l’horizon de cet entre-deux qui va de
Noël à Pâques, du Dieu naissant à notre humanité en l’enfant de la crèche, au Dieu mourant
de notre humanité dans l’homme de la croix où tout s’accomplit, où tout est assumé. C’est
alors comme si Dieu s’était retiré du monde, s’était absenté du monde pour nous remplir de
Lui… Dieu livré entre nos mains pour que nous en devenions porteurs enfin. Non pas un tour
de passe-passe, mais un passe partout, afin que notre existence en soit transfigurée. Il s’est
remis entre nos mains – quelle responsabilité pour chacun de nous – afin que nous nous
vivions comme entre ses mains, comme ses propres mains.
Il n’y a désormais plus de fuite satisfaisante dans le passé, ni de fuite rassurante dans un futur
qui chanterait. Nous sommes inscrits dans l’entre-deux, dans le présent, cet aujourd’hui à
vivre. Le passé, certes, demeure important parce qu’il doit nous porter à espérer – c’est l’enjeu
du psaume 42 et de la cantate de ce soir ; il doit, il peut nous porter à entreprendre, à vivre
l’aujourd’hui comme le lieu et le temps de la décision. Et cet aujourd’hui, même s’il est
souvent difficile, alourdi, meurtri, fatiguant, ne doit pas pour autant nous fermer non plus
l’horizon mais bien plutôt nous porter, lui aussi, tirant sa sève des racines et la faisant passer
par son écorce pour permettre à l’arbre que nous sommes de verdir, de fleurir et de porter du
fruit.
Ainsi que va le chanter jusqu’au bout la cantate : ne pas se laisser séduire par les futilités du
monde mais orienter notre vie à partir de la crèche et de la croix. Sans raccourci !
Temps méditatif final
Tu es à moi, je suis à toi, avons-nous entendu…
se préparer dès aujourd’hui
à accueillir la vie…
comme les bourgeons déjà formés
traverseront l’hiver
pour éclater au temps voulu
en feuilles puis en fruits…
repérer les futilités, les nommer
pour oser les quitter…
se recentrer sur l’essentiel.
Que nos années soient longues,
que nos années soient brèves,
c’est le temps nécessaire qui nous est accordé
pour faire de notre vie une musique claire,
pour être en paix avec soi-même…
nous sommes tous compositeurs
de notre propre partition,
faite d’aigus et de graves,
de blanches et de noires,
de croches et d’anicroches…
compositeurs et interprètes,
habiles et maladroits à la fois,
Dieu nous regarde avec amour
En entendant notre musique…
Il est en nous et nous en lui :
le ciel est venu sur la terre
pour notre paix, pour notre joie
le Très-Haut s’est fait le Très-Bas…