Dimanche 10 février 2019
J.-S. Bach, « Magnificat » – BWV 243
Choeur Pro Arte, direction Pascal Mayer

Texte méditatif I

Dis-leur

Ce que le vent dit aux rochers

Ce que la mer dit aux montagnes

Dis-leur

Qu’une immense bonté

Pénètre l’univers.

Dis-leur,

Que Dieu n’est pas ce qu’ils croient

Qu’il est un vin que l’on boit

Un festin partagé

Où chacun donne et reçoit.

Dis-leur

Qu’il est le joueur de flûte

Dans la lumière de midi

Il s’approche et s’enfuit

Bondissant vers les sources.

Dis-leur

Que sa voix seule

Pouvait t’apprendre ton nom

Dis-leur

Son visage d’innocence,

Son clair-obscur et son rire.

Dis-leur

Qu’il est ton espace et ta nuit,

Ta blessure et ta joie.

Mais dis-leur aussi

Qu’il n’est pas ce que tu dis

Et que tu ne sais

Rien de lui.

Lecture biblique, Evangile de Luc, ch1

«De tout mon être je veux dire la grandeur du Seigneur,

mon cœur est plein de joie

à cause de Dieu, mon Sauveur;

car il a bien voulu abaisser son regard sur moi, son humble servante.

Oui, dès maintenant et en tous les temps, les humains me diront bienheureuse,

car Dieu le Tout-Puissant a fait pour moi des choses magnifiques.

Il est le Dieu saint,

il est plein de bonté en tout temps

pour ceux qui le respectent.

Il a montré son pouvoir en déployant sa force:

il a mis en déroute les hommes au cœur orgueilleux,

il a renversé les rois de leurs trônes

et il a placé les humbles au premier rang.

Il a comblé de biens ceux qui avaient faim,

et il a renvoyé les riches les mains vides.

Il est venu en aide au peuple d’Israël, son serviteur:

il n’a pas oublié de manifester sa bonté

envers Abraham et ses descendants, pour toujours,

comme il l’avait promis à nos ancêtres.»

 Méditation

Je ne sais pas s’il vous arrive de travailler avec photoshop, ce logiciel assez étonnant qui vous permet d’opérer quelques retouches dans vos photos. Peut-être.

Ou si vous ne le faites pas vous-même, vous en avez entendu parler.

En 2015, après les tragiques attentats de Charlie Hebdo, un cortège a défilé à Paris, avec à sa tête de très nombreux grands responsables politiques venus du monde entier pour manifester leur solidarité.

Un journal juif ultraorthodoxe a publié une photo de ce cortège en en retirant toutes les femmes. La Chancelière allemande, la première ministre du Danemark, la Haute représente de l’Union Européenne pour les affaires étrangères, la Maire de Paris et quelques autres ont tout simplement disparu.

J’ai l’impression que chez les protestants, on a un peu fait la même chose avec Marie.

Certes, nous la mentionnons à Noël ou à vendredi saint, bien sûr, mais nous l’avons soigneusement photoshopée de nos liturgies. Réaction compréhensive, sans doute vis-à-vis de ce que nous considérons comme une dérive de la théologie romaine, dans laquelle on attribue à Marie un rôle qui va bien au-delà de celui que lui accordent les Evangiles.

Bien sûr, lorsque nous entendons répéter en boucle

Je vous salue, Marie pleine de grâce ;
Le Seigneur est avec vous.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes
Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.
Sainte Marie, Mère de Dieu,
Priez pour nous pauvres pécheurs,
Maintenant et à l’heure de notre mort.

Amen

… comme si l’interminable répétition de cette prière avait plus de chance de parvenir aux oreilles du Père… notre sensibilité protestante ne fait qu’un tour.

Il n’empêche.

Il n’empêche …

ce « Magnificat »,

ce « cantique » de Marie

c’est une prière pour le moins étonnante.

  • D’abord parce qu’elle prononcée par une femme qui, dans le reste de l’Evangile ne dit finalement pas grand-chose. Et quand elle essaie de dire quelque chose, elle se fait parfois rabrouer de manière assez sèche. Vous vous souvenez de l’épisode de Cana où Marie, délicatement, essaie de dire à Jésus que c’est vraiment dommage … la fête du mariage bat son plein et il n’y a plus de vin. Ce sera un déshonneur terrible, une honte, pour toute la famille pendant des années. Et vous vous souvenez de la réponse de Jésus : « Qu’est que tu me veux, femme, mon heure n’est pas venue ». Pas très délicat avec sa mère, Jésus. Heureusement, elle ne se laisse pas démonter et elle dit simplement aux serviteurs « Faites tout ce qu’il vous dira ».
  • Et c’est un peu comme ça dans tout l’Evangile. Elle ne dit pratiquement rien. Et là, va savoir pourquoi, ce n’est pas de la flûte à bec qu’elle joue, ce sont les grandes orgues qu’elle mobilise avec tous les jeux et tous les tuyaux !  « Mon âme magnifie le Seigneur » ou dans un français moins littéraire « De tout mon être, je veux dire la grandeur du Seigneur (…) Il a fait attention à moi, sa pauvre servante ». Ou « sa servante sans importance ».

Ce que Marie va dire, c’est un patchwork de citations de l’Ancien Testament.  Mais attention : pas un amoncellement de versets :  un patchwork subtil et construit, une véritable œuvre d’art ! Ou pour prendre une autre image, un vitrail dont chaque morceau de verre serait un verset particulièrement bien choisi et où l’ensemble de la composition aboutirait non pas à une litanie mielleuse, mais à une extraordinaire confession de foi.

  • Je sais ce que vous allez me dire : Marie est une très jeune femme, elle vit dans une société profondément patriarcale où les femmes n’ont guère accès aux livres. « Loin de la Rome moderne, dit le Pilate d’Eric-Emmanuel Schmitt, les femmes n’ont ni pouvoir ni importance. Elles n’existent que par leur ventre s’il est fécond. Et on ne demande pas à un ventre d’avoir des pensées, des opinions ou des sentiments »

Alors comment Marie a-t-elle pu avoir accès à tout ce savoir ? Elle qui ne savait probablement pas lire, comment a-t-elle pu mémoriser toutes ces paroles pour pouvoir, au besoin les retrouver, les rassembler et dans un jaillissement artistique et spirituel, « improviser » ce génial magnificat ?

La question mérite d’être posée.

Je vous propose que nous n’entrions pas dans ce débat pour nous demander si c’est véritablement Marie qui a prononcé ces paroles ou si c’est Luc qui a placé ces paroles dans sa bouche. Et cela pour trois raisons :

  1. D’abord parce que des femmes (ou des hommes parfois) qui font des choses étonnantes, très jeunes, il y en a toujours eu. Je ne sais pas si vous avez entendu les déclarations de Greta Thunberg, 16 ans, à propos du climat à Davos. C’était impressionnant de voir à quel point cette jeune femme est parvenue, par ses convictions et par sa mobilisation à voler la vedette à plusieurs grands de ce monde rassemblés pour le dernier World Economic Forum.
  1. Ensuite parce que cette confession de foi – quel qu’en soit l’auteur –  est vraiment extraordinaire. Construite en trois morceaux : le premier – personnel – où Marie parle d’elle et de l’immense bonheur qui lui échoit, le second, clairement politique, où elle rappelle la préférence de Dieu pour les pauvres, les petits, les marginalisés « Il a renversé les rois de leur trône et placé les humbles au premier rang ». Quand on le lit comme ça, dans notre bon pays où de toute manière on n’a jamais eu de roi… on se dit que ce sont des paroles assez habituelles dans la bible … mais est-ce que vous me permettez de vous rappeler que lors de la visite du Pape Jean-Paul II, en Argentine, en 1982, la commission liturgique a considéré que cette éviction des puissants était tellement subversive qu’elle en a expurgé le texte du Magnificat ! Je n’invente rien ! Et le troisième morceau, clairement biblique, où Marie rappelle et s’inscrit dans l’histoire de la Promesse, depuis Abraham. 
  1. Et puis la troisième raison, c’est que j’ai déjà beaucoup trop parlé et qu’à l’écoute du texte du Magnificat on se dit, comme à l’écoute d’un très beau poème, qu’au fond, on devrait écouter et se taire, c’est tout. Notre rendez-vous s’appelle « Cantate ET parole ». J’ai respecté le binôme mais il est grand temps que je m’arrête parce que le seul prolongement possible de cette merveilleuse confession de foi c’est la musique du Cantor de Leipzig, bien sûr.

Texte méditatif II

Dieu n’a pas d’autres mains

Que nos mains pour faire le bien.

Dieu n’a pas d’autres yeux

Que nos yeux pour regarder avec amitié.

Dieu n’a pas d’autre bouche

Que notre bouche pour dire les paroles de réconciliation.

Dieu n’a pas d’autres oreilles

Que nos oreilles pour écouter les plaintes.

Dieu n’a pas d’autres apôtres

Que nous, pour donner son royaume

Aux hommes d’aujourd’hui.

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