Texte méditatif

Seigneur, aide-moi à ne pas fuir
Aide-moi à rester là où je suis, même s’il n’y a pas grand-chose à voir
Aide-moi à rester à la route de mon vieux bateau.
Je rêvais de terres lointaines et d’îles extraordinaires
Et voilà que je navigue sur un canal, entre les collines grises
J’attends mon tour aux écluses
Seigneur, aide-moi à ne pas fuir, mais à rester
Humblement sur le canal où tu as bien voulu me mettre.
Aide-moi à aimer mon canal.
Fais de moi un être présent
Remplis-moi d’humilité
Et par là, de vraie puissance
Ouvre mes yeux
Que je voie la douceur de ses berges,
La gloire de ses fleurs,
Le jeu merveilleux de son ciel.
Mon évasion me prive de la vraie liberté
Elle me ferme les portes de la vie
Et je m’évade
Et je m’évade encore
Et cours mille chemins à la poursuite éperdue de mon rêve
Aide-moi à ne pas fuir.
Aide-moi à rester à la barre de mon bateau
Présent, vivant l’heure
Et Te rendant grâces de ce qu’elle apporte.
Ainsi, d’écluses en écluses,
De canal en canal,
J’atteindrai bien la mer.
La mer que je pourrai voir, alors,
Ayant suivi le chemin qu’il fallait.
Ce chemin que tu as voulu,
Pour l’amour de moi qui ne suis guère
Et que  Tu aimes tant.

Lecture biblique : Evangile de Luc, chapitre 12, 13-21

13Quelqu’un dans la foule dit à Jésus : « Maître, commande à mon frère de partager notre héritage avec moi ! » 14Jésus lui répond : « Je ne suis pas là pour juger vos affaires ni pour partager vos richesses ! » 15Ensuite Jésus dit à tout le monde : « Attention ! Ne cherchez pas à avoir toujours plus de choses ! En effet, la vie de quelqu’un ne dépend pas de ce qu’il possède, même s’il est très riche. »
16Alors Jésus leur raconte une histoire : « Un homme riche a des terres qui produisent une bonne récolte. 17Il se demande : “Qu’est-ce que je vais faire ? Je n’ai pas assez de place pour mettre ma récolte.” 18Alors il se dit : “Voilà ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers et en construire de plus grands. J’y mettrai toute ma récolte et mes richesses. 19Ensuite je me dirai à moi-même : Mon ami, tu as là beaucoup de richesses, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, amuse-toi ! ” 20Mais Dieu lui dit : “Tu es fou ! Cette nuit, je vais te reprendre ta vie. Et tout ce que tu as mis dans tes greniers, qui va l’avoir ? ” » 21Jésus ajoute : « Voilà ce qui arrive à celui qui cherche des richesses pour lui-même, mais qui n’est pas riche pour Dieu ! »

Temps de parole

En relisant le début de ce texte – pas la parabole, mais la question qui suscite la parabole, on serait tenté de dire : encore une histoire d’héritage qui tourne mal. Finalement, les héritages, ça tourne toujours mal. Il n’est pas nécessaire de faire partie d’une grande famille pour cela  … les histoires d’héritage qui tournent mal ça peut commencer avec la pendule neuchâteloise de Tante Marguerite ou le couteau suisse de l’oncle Roger.
Vous êtes certainement comme moi … vous en avez entendu beaucoup d’histoires d’héritage … et vous avez constaté que c’est bien souvent la personne lésée qui raconte l’histoire… celle qui a été roulée par un frère, une sœur, un cousin, une cousine sans scrupule. Et dans le cas présent c’est exactement ce qui se passe.

Cela prouve en tout cas que Jésus avait une certaine autorité. On l’avait vu débattre au Temple, avec les membres du sanhédrin sur l’interprétation de la Torah, il était donc habilité à dire la Loi. C’était un rabbi que l’on pouvait consulter.

Et c’est ce que fait l’homme qui intervient.
Il ne le fait peut-être pas au bon moment. Jésus vient de parler de choses très sérieuses, très graves : « Quand on vous conduira dans les synagogues, devant les magistrats et les autorités, ne vous inquiétez pas de la manière dont vous aurez à vous défendre, ou des mots que vous aurez à dire : le Saint-Esprit vous enseignera ce qu’il faut dire. » Et il enchaîne, comme s’il n’avait rien entendu : « Maître, dis à mon frère de partager notre héritage avec moi ».  Oh la … on change de registre. On tombe de haut. Et la réponse de Jésus qui met la balle en corner nous parait parfaitement justifiée.  Qu’est-ce que cette question d’argent vient faire au milieu de cette discussion ?
Et puis est-ce à Jésus de s’occuper de choses bassement matérielles ?


En y réfléchissant… la situation est peut-être plus complexe qu’elle n’en a l’air.

D’abord parce que les choses de l’argent ne sont pas « bassement matérielles », comme le dit si bien Daniel Marguerat… (il suffit de voir le nombre de fois où on parle argent dans l’évangile de Luc)  et, parce que la question de l’homme est totalement légitime. Il faut se rappeler qu’à cette époque, l’héritage en Israël est quelque chose de codifié, quelque chose qui n’est pas laissé à la loi du plus fort. L’aîné reçoit ce qu’on appelle « la part du lion », c’est-à-dire 50% du patrimoine, et les autres fils se partagent le reste. Grâce à ce système, les patrimoines ne sont pas  dispersés. On peut comprendre que cet homme de la foule, qui est à n’en pas douter un puîné, réclame en quelque sorte justice. Il demande à Jésus de rappeler le droit, de rappeler ce que la Loi de Moïse ordonne à ce propos.

Ensuite, nulle part, ni dans l’Ancien ni dans le Nouveau Testament, on ne trouve de condamnation globale de la richesse. Dans l’Ancien Testament, elle était même vue – en tout cas jusqu’à la déportation – comme un signe évident de bénédiction. Si tu es riche, c’est que tu es béni de Dieu ! Et il faudra que le peuple d’Israël fasse l’expérience de la déportation à Babylone pour comprendre que ce n’est peut-être pas si simple : on peut être juste devant Dieu ET déporté, ET pauvre, ET malade.


Ce que Jésus condamne ou interroge, ce n’est pas la richesse en elle-même, mais ce qu’on en fait.

Le fermier dont il est question dans la parabole tourne en rond, tourne en boucle. Il est terriblement seul :
Il SE demande « qu’est-ce que je vais faire, je n’ai pas assez de place pour ma récolte … »
Il SE dit : « Voilà ce que je vais faire, je vais démolir mes greniers et en construire de plus grands »
Ensuite, il SE dit à lui-même: mon ami, tu as là beaucoup de richesses, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois et amuse-toi.

Finalement – c’est ce que l’Evangile ne dit pas, mais en cherchant un peu plus profondément dans les évangiles apocryphes, on devrait trouver quelque chose – ce fermier de l’Evangile, c’est lui qui a créé le fameux slogan de LOREAL : « Parce que vous le valez bien ».  Bien sûr ! Il peut ne plus rien faire, sinon manger, boire et s’amuser parce QU’IL LE VAUT BIEN !


Il a choisi les bonnes cultures
Les bons champs
Les bons collaborateurs,
Il a su quand il devait rases ses vieux bâtiments et en construire de nouveaux
Il n’est pas accro au passé
Il sait profiter des opportunités
Il peut enfin PROFITER DE LA VIE, parce qu’il  le faut bien !!!

***

Il SE demande
Il SE dit
Il S’invite à se reposer, à manger et à s’amuser.

•    Pas beaucoup de place pour le dialogue avec sa femme ou son intendant … ou ses enfants, ou ses voisins, là-dedans …
•    Pas beaucoup de place pour le brainstorming avec ses collègues agriculteurs pour voir comment optimiser les greniers existants
•    Et pas beaucoup de place, à sa table, pour un vis-à-vis qui mangerait avec lui.


Au fond, le « riche insensé », c’est l’exact opposé du « festin de Babette ».

Babette, chef cuisinière renommée dans un grand restaurant parisien, le Café anglais, fuit la répression de la Commune de Paris en 1871. Elle trouve refuge au service de deux vieilles filles, dans un petit village luthérien au Danemark.
Chaque année, elle achète un billet de loterie. Après quinze ans, elle remporte le gros lot de 10 000 francs et, plutôt que d’améliorer son sort, elle consacre tout son argent pour reconstituer, en une seule soirée et pour douze couverts, le faste de la grande cuisine parisienne.

Jésus rabroue l’homme – parce qu’il faut bien appeler un chat un chat, d’une certaine manière, il le rabroue pour 2 raisons :

1.    D’abord parce qu’il ne veut pas se transformer en juge qui donne tort à celui-ci et raison à celui-là.  Chaque fois qu’il le peut, il SORT du légalisme. On lui pose une question simple : « qui est mon prochain » et il raconte l’histoire du bon Samaritain ; on lui pose une autre question simple : « Combien de fois faut-il pardonner » et il répond 77 fois 7 fois … ce qui est évidemment une façon de dire que la question est une mauvaise question.  Jésus n’est pas venu pour condamner celui-ci ou celle-là mais pour libérer. Ça n’a rien à voir.
2.    Ensuite, parce que la première question n’est pas « à combien j’ai droit ». mais «Qu’est-ce que je veux faire de cet argent ? » A l’école, on apprend que 10 divisé par deux, ça fait 5, et dans la Loi, on apprend que si l’on veut être juste, il faut être équitable. Et Jésus vient introduire une valeur que l’on ne rencontre ni à l’école ni dans la loi : l’Amour.  Bien sûr, a-t-on envie de dire, l’Amour n’a rien à faire dans les mathématiques … pas plus qu’il n’a quelque chose à voir dans la Justice … et c’est pourtant quand l’Amour n’est plus là que le riche fermier  SE demande, SE dit, et finalement S’invite à manger et à boire.
Bach a choisi un texte dans lequel il fait chanter au ténor (c’est dans la cantate 144) « Là où règne la satisfaction, et partout où le gouvernail est bien tenu, l’homme est heureux de ce que Dieu lui a accordé. En revanche, là où l’insatisfaction fait la loi, là s’installe la peine et le chagrin »

Bien des années plus tard, Goldmann a écrit une chanson, « les choses » avec les paroles suivantes :

Si j’avais si j’avais ça
Je serais ceci je serais cela
Sans chose je n’existe pas
Les regards glissent sur moi
J’envie ce que les autres ont
Je crève de ce que je n’ai pas
Le bonheur est possession
Les supermarchés mes temples à moi

Etrange parenté, non ?
Etrange parenté qui constamment m’invite à me repose la question : est-ce que mon garage, mon compte en banque, mon grenier, ma bibliothèque ne sont pas en train de devenir mon temple à moi ? Et lorsque les choses tournent bien pour moi, est-ce que je sais faire la différence entre la petite voix qui me  susurre « arrête avec tes complexes de protestants … profite…. Tu le vaux bien » et cette autre voix qui me suggère « Et si tu savais rendre grâce et en faire profiter les autres » ? Amen.

Texte méditatif

Donnant, donnant.
Nous aimons bien ce qui est juste.
Nous aimons dire :
« Ce qui est juste … est juste ».
Nous mesurons le vin en dl !
Nous avons des balances précises et sages
Nous avons des montres qui donnent l’heure exacte.
Nous donnons aux autres leur compte
Après vérification.
Jamais davantage qu’ils ne méritent.
Mais jamais moins.
Du moins, nous essayons.
Et si c’était pour cela que le monde n’avance pas.

Parce que pour que le monde avance, il faudrait peut-être aimer les non-aimables
Donner à ceux qui ne le méritent pas
Pour dépanner le monde, il faudrait une fois tricher
Tricher avec ce qui est juste … mais seulement juste.
Donner à ceux qui ne méritent rien.
« Dieu a tant aimé le monde », lisons-nous dans l’Evangile de Jean.
Mais pour cela, il a bien fallu qu’il fausse les balances.
Pour remettre l’homme debout,
Il a fallu une balance qui penche
Qui penche du côté de l’Amour.

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