Texte méditatif I
Les préparatifs de Noël[1]
Tous les préparatifs de Noël
Ont l’immense mérite de nous rappeler
Que la foi chrétienne
Est une religion joyeuse.
On y parle de péché, c’est vrai
Mais c’est pour dire qu’il est ôté.
On y parle de jugement,
C’est vrai aussi,
Mais c’est pour dire qu’il a été anéanti.
On y parle de mort,
C’est toujours vrai
Mais c’est pour dire que le dernier mot
Lui a été enlevé.
Cela dit,
Il faut bien avouer que les porteurs de toutes ces bonnes nouvelles
Ne sont pas toujours très drôles.
Les pasteurs, les prêtres,
Les frères et sœurs chrétiens
Porteurs de libération et de joie
Font parfois pas mal de dégâts
Avec leur air sinistre…
Alors il faut redire
Sur les places et dans les ruelles
Il faut redire et répéter
Jetez le vase, braves gens !
Jetez le vase, mais gardez le trésor.
Et sachez que quiconque se réclame de la foi chrétienne
Et vous inspire généreusement
Tristesse et ennui
Doit être considéré comme une erreur
Ou un accident.
Texte biblique : Luc 2, 1-7
En ce temps-là, l’empereur Auguste donna l’ordre de recenser tous les habitants de l’empire romain. Ce recensement, le premier, eut lieu alors que Quirinius était gouverneur de la province de Syrie. Tout le monde allait se faire enregistrer, chacun dans sa ville d’origine. Joseph lui aussi partit de Nazareth, un bourg de Galilée, pour se rendre en Judée, à Bethléem, où est né le roi David ; en effet, il était lui-même un descendant de David. Il alla s’y faire enregistrer avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Pendant qu’ils étaient à Bethléem, le jour de la naissance arriva. Elle mit au monde un fils, son premier-né. Elle l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’abri destiné aux voyageurs.
Méditation
Cette cantate est absolument superbe, on ne le dira jamais assez ! Mais je ne sais pas si vous avez lu le titre : « Dazu ist erschienen der Sohn Gottes ». Ça fait terriblement sérieux. Et en français, ça ne s’allège pas véritablement « C’est pour cela que le Fils de Dieu est apparu ».
Ça ressemble à un titre de thèse de doctorat en théologie, une de ces thèses où, mis à part un petit groupe d’experts, le directeur du travail et l’auteur de la thèse, personne n’y comprend rien du tout. Et puis ça fait terriblement prétentieux.
« Mesdames et Messieurs, je vais vous dire pourquoi le Fils de Dieu est apparu ». Sous-entendu : « je vais vous le dire parce que je le sais ».
Dès lors, pourquoi choisir un sujet pareil pour une Cantate que Bach a écrite pour le 2e jour de Noël ? A Noël, on raconte l’histoire de Noël, on raconte les bergers, on raconte les mages, on raconte les anges qui chantent dans le ciel, Noël, c’est une histoire, pas une théorie, ni un discours philosophique.
Cela dit, passé le titre, le texte de cette cantate est passionnant. On ne sait pas exactement de qui il est puisqu’on cite trois auteurs dont Bach s’est inspiré pour cette Cantate : Kaspar Füger ; Paul Gerhardt et Christian Keymann.
Ce texte est passionnant, parce que, tout comme Jean-Sébastien Bach, il utilise toutes les possibilités de la poésie et de la langue pour essayer de raconter quelque chose de complexe.
1. Récitatif du Ténor
Dans le récitatif du ténor, on est en plein dans un lange qui nous rappelle le Prologue de l’Evangile de Jean.
Le verbe s’est fait chair
Et il a habité parmi nous.
La lumière du monde éclaire l’univers entier
Le Fils de Dieu quitte le trône céleste
Et il plaît à Sa Majesté
De devenir un simple être humain.
Songez à cet échange, si vous en êtes capables.
Le roi se fait sujet
Le Seigneur apparaît comme un valet.
On a envie de dire : c’est peut-être très beau … mais c’est quand même un peu hermétique. « Le verbe s’est fait chair ». Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est un vrai langage de pasteur. Mais c’est aussi un parfait patois de Canaan !
2. Air de basse
J’avance un peu dans le texte et je découvre alors que Bach ne donne pas d’explications mais évoque les conséquences de cette venue du Fils de Dieu.
Première conséquence : danger pour le serpent. Ah oui, l’histoire du serpent, je connais. Le serpent, Eve, la pomme … Et que vient de chanter la basse ? Il vient de chanter
Serpent infernal, ne crains-tu pas pour toi ?
Celui qui t’écrasera la tête est maintenant né.
Le serpent, c’est le diable évidemment. Et cette compréhension de la venue du Fils de Dieu que propose Bach, on la retrouve dans la 1ère lettre de Jean, au v. 8 : « Voici pourquoi le Fils de Dieu est apparu : pour détruire les œuvres du diable ».
Et c’est tellement important pour lui qu’il le reprend dans le Récitatif de l’alto que nous entendrons tout à l’heure et dans le chœur qui suit !
Et dans le chœur, Bach dit au serpent « Fleuch, du alte Schlange ». Qu’on traduit pudiquement par « Eloigne-toi, vieux serpent ». Mais en fait c’est plus direct. On devrait traduire « Casse-toi, vieux serpent ». Et cette formule m’a tout de suite fait penser à Gainsbourg. « J’srai content quand tu s’ras mort, vieille canaille » ou à une réplique de pièce policière …
Donc deuxième genre littéraire dans cette cantate, presque des répliques de pièce policière :
Secoue la tête
Casse-toi, vieux serpent
A quoi bon ta morsure,
Tu sais bien que tu es fichu !!
3. Air du ténor.
Et puis il y a une troisième partie, l’Air du ténor dans lequel il y a une image formidable.
Si l’empire infernal déchaîne sa fureur
Si le courroux de Satan veut vous épouvanter
Jésus prend soin de ses poussons
Et va les couvrir de ses ailes.
Comparer Jésus à une poule ! C’est quand même audacieux.
Et pourtant, c’est une image qui nous parle à tous. Et une image qui nous parlait déjà quand nous étions petits enfants.
J’ai une petite fille qui a 16 mois et à qui sa maman chante souvent :
Sous l’aile de la poule
Les poussins, les poussins
Sous l’aile de la poule
Les poussins ne craignent rien.
Ma petite fille a 16 mois … je ne suis pas certain qu’elle sache ce qu’est une poule ou un loup… mais elle comprend parfaitement qu’on est bien sous l’aile de la poule comme on est bien dans les bras de sa maman.
Et c’est ça, le génie de Bach.
Dire pourquoi le Fils de Dieu est apparu en passant de la théologie à la pièce policière et de la pièce policière à la chanson pour enfant.
Bref, utiliser toutes les formes du langage, comme il utilise toutes les formes de la musique, à la gloire de Dieu.
Amen.
Texte méditatif II
C’est de la nuit que naît le jour [2]
Quand on parle de la nuit, on dit qu’elle va tomber.
On dit aussi qu’elle tombe de plus en plus vite. En hiver.
Mais pourquoi Noël est-il allé chercher une place dans un rendez-vous qui tombe ?
Comme on tombe de fatigue ou de sommeil … comme on tombe de haut … comme les épaules qui tombent … comme les bras qui vous en tombent … Pourquoi ?
La nuit, chacun d’entre nous perd ses apparences, ses « paraître », ses « avoir l’air » et se retrouve face-à-face avec lui-même.
Toutes celles et tous ceux qui sont obligés de cacher
Leur exclusion,
Leurs difficultés,
Leurs échecs,
Leur histoire condamnée
Leur sortie de prison
Leur lutte avec l’alcool ou la drogue
Tous peuvent se montrer tels qu’ils sont.
Quand il n’y a plus de place nulle part
Il reste toujours la nuit.
C’est pour cela que Dieu a choisi la nuit pour se faire homme.
Pauvre parmi les pauvres, il n’y avait pas de place pour lui, alors il a choisi la nuit.
Si Dieu a choisi la nuit
C’est parce qu’elle est une terre de naissance.
C’est de la nuit que naît le jour.
Noël ce n’est pas une fête enfantine
C’est la fête de tous ceux
Et de toutes celles qui ont besoin de naître.
[1] Philippe Zeissig – Minutes oecuméniques
[2] In Jean Debruynne, Jésus