Texte méditatif

L’Espérance ne viendra jamais qu’aux yeux brûlés,

aux yeux perdus.

L’Espérance ne viendra jamais

qu’à ceux qui ne l’attendaient plus.

Elle viendra le lendemain

quand les fleurs seront fanées,

quand les guirlandes en papier seront défraîchies, quand les décors seront démontés.

Elle ne viendra que le lendemain

quand les costumes seront au placard,

les maquillages démasqués,

quand le rimmel aura coulé et quand la scène sera vide.

Elle viendra pieds nus, à tâtons,

comme un boiteux qui se met à danser,

comme un aveugle qui se prend à voir,

comme un sourd qui, d’un seul coup, entend.

L’Espérance viendra comme un matin frileux,

comme un soleil encore dans son nuage.

Elle entrera non par la grande entrée des artistes

mais par le petit escalier des machinistes.

Elle portera son vêtement des commencements

et ses yeux de poème,

ses deux mains de tous les jours,

ses pleines mains de la réalité.

L’Espérance ne nous apportera pas ce que nous espérions mais ce que nous n’espérions plus.

Elle viendra comme une étincelle, un enfant prodigue au moment que j’attendais le moins.

Sa bouche ne sera qu’une parole, grande ouverte

comme le tombeau d’un ressuscité.

 

Méditation

On va se dire les choses comme elles sont :  

au lendemain du Golgotha,

le monde a continué à tourner comme avant.

Comme si de rien n’était.

Il faut le dire.

Et il faut le répéter.

Parce qu’en lisant les Évangiles avec un regard de croyant, on a toujours l’impression que tout s’est arrêté.

Qu’après la mort de Jésus,

Il y a eu un grand silence.

Un énorme silence qui a plombé le monde.

C’est tout faux.

La vie a continué

Exactement comme avant.

Ce n’est pas un crucifié de plus ou de moins qui allait changer le cours des choses.

Eric-Emmanuel Schmitt le fait dire parfaitement à son Pilate :

Comme chaque année, j’ai tout craint pendant ces trois jours. Mais comme chaque année, j’ai maîtrisé la situation. Pas d’incidents majeurs. Quinze arrestations, trois crucifixions. La routine. Je vais donc pouvoir repartir à Césarée, une ville romaine, carrée, qui sent bon le cuir et la caserne.

Les boutiques ont continué à servir les clients,

Les boulangers ont fait leur pain,

Les coiffeurs ont coupé les cheveux,

Les médecins ont guéri ce qu’ils savaient guérir

Les riches sont devenus encore un peu plus riches

Et les pauvres sont devenus encore un peu plus pauvres.

La routine, je vous dis.

La vie « normale » dans tout ce qu’elle avait de plus « normal ».

Lorsque le roi Hérode est mort, la terre n’a pas arrêté de tourné

Lorsque Jules César, ou Cléopâtre, ou Alexandre sont morts,

La terre n’a pas arrêté de tourner !

Alors pour ce petit prédicateur itinérant qu’était Jésus de Nazareth

Tu penses !

Bien sûr, la mort de Jésus était profondément injuste,

Arbitraire, 

Révoltante,

Mais elle n’a pas changé le cours des choses.

Le monde n’a chancelé

Que pour les disciples.

Eux qui avaient tout abandonné pour suivre Jésus (travail, famille, voisins)

Eux qui venaient de vivre trois années incroyables

Trois années faites de découvertes spirituelles

Sociales, relationnelles

Inimaginables

Trois années qui le rendaient méconnaissables !

Et voilà que d’un coup, tout s’est arrêté.

En quelques jours, ils ont vu leur maître

Arrêté

Jugé

Crucifié.  

Ils sont anéantis.

Et non seulement ils sont anéantis,

Mais ils sont traversés de sentiments accablants…

Parce que celui qui était leur maître et leur seigneur,

Ils l’ont laissé tomber !

Ils l’ont trahi !

Ils l’ont abandonné.

Nous ne sommes pas à la place des disciples, bien sûr.

Et depuis 2000 ans, on nous explique que ce naufrage

  • Car la croix est un naufrage –

N’est en fait pas la fin de l’histoire.

La fin de l’histoire, c’est la résurrection

Donc réjouissez-vous !

Réjouissez-vous les tristounets,

Jésus est ressuscité !

Bien sûr.

Sauf que ça ne marche pas comme ça.

Pleurer à vendredi saint

Ça, on arrive.

Mais d’un seul coup, passer des larmes à la joie

Et vivre personnellement une rencontre vibrante avec le Christ dans notre petit cœur,

ça, ce n’est pas évident.

On ne peut pas éprouver de la  joie sur commande.

Même si à Noël, on connaît déjà la date de Pâques.

Entendez-moi bien :

On aimerait bien y croire, à cette résurrection

Mais c’est difficile.

Si ça peut vous rassurez, nous ne sommes pas les premiers.

Déjà dans son discours aux Athéniens, Paul nous dit que « lorsqu’ils l’entendent parler de la résurrection, certains se moquent et d’autre lui disent … nous t’entendrons sur ce sujet une autre fois ».

Le bide.

Et les Athéniens non plus ne sont pas les seuls.

Depuis le début il s’est trouvé des hommes et des femmes tout à fait honnêtes pour s’interroger sur cette résurrection. Est-ce que les disciples perturbés, choqués, anéantis, n’ont pas eu … une vision ?

Le symptôme est bien connu

Bien documenté.

Lorsque le deuil est brutal, il peut générer des troubles psychologiques chez les proches. Et il n’est pas rare que des endeuillés – aux prises avec un décès abrupt – disent avoir vu le défunt vivant.

Et pour le coup, la croyance en une résurrection est à classer dans la catégorie des mirages.

Si l’on y réfléchit bien, la résurrection de Jésus n’a eu aucun témoin.

Personne ne sait ce qui s’est passé.

Elle échappe totalement à l’histoire avec un H.

Et cette histoire de tombeau vide – très honnêtement –

C’est pour le moins fragile et maladroit.

Un tombeau vide, ça ne prouve rien.

Mais alors, rien du tout.

En ce qui me concerne, je ne sais pas ce qu’est la résurrection.

Et comme les disciples, j’ai bien souvent peine à y croire.

Mais au-delà de mes doutes,

Je dois bien admettre qu’il s’est passé quelque chose

Quelque chose d’essentiel

Quelque chose de déterminant

Dans la vie des disciples.

Quelque chose qui a transformé des hommes

Terrés dans la cave

Morts de trouille

Découragés, désemparés, démotivés

En hommes doués d’un élan de VIE incroyable.

La résurrection,

Bien avant d’être une croyance,

La résurrection,

C’est une expérience.

Ce que les disciples vivent au matin de Pâques, c’est une révélation : Dieu réhabilite le crucifié.

Celui-là même que l’on avait condamné et tué pour blasphème

Dieu le réhabilite.

Dieu prend fait et cause pour lui en qui.

Alors, oui, au matin de Pâques, le monde a continué à tourner

Comme avant,

Mais les disciples ont été radicalement changés,

transfigurés par cette expérience.

Et cette expérience va bouleverser l’histoire du monde.

Ce qui va marquer l’histoire du monde, ce n’est pas tant l’émergence d’une nouvelle « religion »,

d’un nouveau culte,

de nouveaux dogmes,

mais l’émergence d’une nouvelle manière d’habiter le monde,

de vivre ensemble,

de considérer l’humain.

Dans un monde (celui des Grecs et des Romains) qui accordait une grande attention à la force et à la puissance, les disciples de Jésus vont porter la leur

aux plus petits,

aux plus vulnérables,

aux victimes. Jésus était l’un d’eux.

Dans un monde (celui des Grecs et des Romains) qui accordait une grande attention aux hommes,

les disciples de Jésus vont reconnaître les femmes comme égales en droit et en dignité dans les communautés,

ils vont leur accorder des responsabilités

et une liberté qu’elles n’avaient jamais connue dans la société patriarcale.

Dans un monde (celui du judaïsme) qui veillait à préserver, à se séparer de tout par des prescriptions alimentaire, vestimentaires, et.

les disciples de Jésus n’auront de cesse,

non pas de se séparer du monde,

mais de s’y intégrer

pour y faire rayonner une nouvelle manière

de penser et de vivre l’humain.

Depuis le matin de Pâques, être croyant,

ce n’est pas être gardien de la religion

ce n’est pas être gardien des règles.

Gardien du temple

Depuis le matin de Pâque, être croyant, c’est être le gardien de son frère et de sa sœur.

Être croyant, c’est essayer d’être homme

Essayer d’être humain

comme l’a été ce Jésus.

Essayer d’accueillir l’autre

Essayer de pardonner

Essayer de partager.

Essayer d’être vivant, quoi.

Maurice Zundel écrivait un jour : « Le vrai problème n’est pas de savoir si nous vivrons après la mort, mais si nous aurons été vivants avant la mort ».

 

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